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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/476

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l’homme et la terre. — éducation

C’est un danger capital de comprendre trop vite, sans peine, sans efforts ni long travail d’assimilation. On rejette négligemment l’os dont un autre eût « sucé la substantifique moëlle » ; on se laisse aller à l’indifférence, presqu’au mépris pour les choses les plus belles, on se blase ; le manque d’étude personnelle tue l’initiative, enlève à la parole et aux actes toute originalité.

Une très forte part de l’enseignement se fait de nos jours en vue de l’examen, et il ne saurait en être autrement puisque de l’examen dépendent les places, les positions officielles et sociales. L’Eglise domine-t-elle dans un pays ? il faut que l’étudiant prouve par des arguments et des exemples choisis combien légitimes et saintes sont toutes les revendications cléricales. Le Chef de l’Etat ou l’Etat abstrait sont-ils devenus l’objet essentiel de l’adoration religieuse ? il faut alors faire tout désirer de lui et faire tout converger en lui. Les idées, les caprices d’en haut sont devenus sacrés. Napoléon fit de l’Université une immense école d’obéissance à sa personne. De même sous le règne d’Alexandre III, les professeurs d’histoire russe étaient tenus de démontrer par les témoignages du passé la vérité et la valeur intrinsèque de l’autocratie ». Même les questions purement scientifiques sont tranchées d’en haut. « L’empereur le veut ainsi ! En 1841, Nicolas Ier avait décrété comme vérité de science l’identité ethnique des Grands-Russiens, des Petits-Russiens et des Blancs-Russiens, afin de transformer en une hérésie d’ignorance toute velléité de séparatisme[1].

Les étudiants sont donc avertis : ce n’est pas en vue de savoir qu’ils entrent dans les hautes écoles, c’est avec l’espérance, souvent même avec le seul désir, cyniquement avoué, de gravir les échelons qui mènent à la fortune. C’est ainsi que les examens prennent ce caractère étranger à la science, puisque celle-ci devient un simple prétexte à l’obtention d’une estampille officielle ; le diplôme une fois obtenu, l’étudiant, tout à coup libéré d’un travail qu’il haïssait, se croit pleinement autorisé à la paresse. En son principe l’examen fut tout autre chose et doit se rétablir dans sa vertu première partout où l’amour de la science est réel, partout où il importe de savoir et non de paraître savoir. L’enseignement des philosophes grecs, tel que nous le rapportent les « Dialogues » de Platon, ne consistait en réalité qu’en une conversation permanente de l’étudiant

  1. K. Tarassof. La Société Nouvelle, sept. 1895, p. 330.