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l’homme et la terre. — éducation

donner la nature et toutes les œuvres de l’homme comme grand champ d’observation, s’ils interrogent la Terre, la scrutent directement, sans chercher à la voir à travers les descriptions des livres qui la faussent plus ou moins.

Même en dehors de la nature proprement dite, dans les édifices fermés, c’est toujours par l’observation précise que procédera l’étudiant, notamment celui qui a spécialement l’homme pour sujet de recherche. Ce sont les êtres vivants qu’il apprendra à connaître dans leurs origines et dans leur vie présente, avec les mille alternatives de la santé, de la maladie, de la décrépitude et de la mort. En dehors de tous les bouquins que le temps vieillit, ne sont-ce pas là les livres par excellence, les livres toujours vivants où, pour le lecteur attentif, de nouvelles pages, de plus en plus belles, s’ajoutent incessamment aux précédentes ? Ce n’est pas tout, le lecteur se transforme en auteur. Grâce au pouvoir de magie que lui donne l’expérience, il peut susciter des changements à son gré dans la nature ambiante, évoquer des phénomènes, renouveler la vie profonde des choses par les opérations du laboratoire, devenir créateur, pour ainsi dire, se transfigurer en un Prométhée porteur de feu ! Et quelle parole imprimée, bien apprise par cœur, pourra jamais remplacer pour lui ces actes vraiment divins ?

Et pourtant, il peut avoir plus encore si l’amitié d’autres compagnons de labeur double ses forces. Les entretiens sérieux avec les camarades d’étude, chercheurs de vérité comme lui, élèveront et affineront son esprit, l’assoupliront à tous les exercices de la pensée, lui donneront la hardiesse et la sagacité, enrichiront à l’infini le livre de son cerveau et lui apprendront à le manier avec une parfaite aisance. Ses amis particuliers ses immédiats compagnons d’étude ne sont pas les seuls auxquels il pourra s’adresser, dont il saura s’approprier les connaissances, l’âme, pour ainsi dire ; la science n’étant plus un privilège, un « sacerdoce » exercé par quelques-uns, il aura pour collègues et pour initiateurs partiels tous ceux qui, dans le monde savant, en les universités ou ailleurs, poursuivent des études parallèles. Déjà dans tous les pays d’Europe, mais particulièrement en Angleterre, l’usage s’est établi de s’interroger librement par correspondance, lettres ou journaux, sur toutes les questions du savoir ; du paysan qui vole une ou deux heures de nuit au travail de la ferme pour étudier dans sa grange, jusqu’aux savants illustres du Musée britannique, s’est formée une ligue fraternelle,