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l’homme et la terre. — éducation

bagage scientifique, frappés qu’ils sont des remarquables avantages qu’il leur fournirait pour entrer immédiatement en rapport avec la civilisation occidentale.

Chose curieuse, cette langue nouvelle est amplement utilisée déjà, elle fonctionne comme un organe de la pensée humaine, tandis que ses critiques et adversaires répètent encore comme une vérité évidente que les langues ne furent jamais des créations artificielles et doivent naître de la vie même des peuples, de leur génie intime. Ce qui est vrai, c’est que les racines de tout langage sont extraites en effet du fonds primitif, et l’esperanto en est, par tout son vocabulaire, un nouvel et incontestable exemple, mais que ces radicaux peuvent être nuancés ingénieusement de la manière la plus directe, comme on l’a fait pour tous les arts et toutes les sciences ; à cet égard, il n’y a point d’exception : tous les spécialistes ont leur langage technique particulier. L’inventeur de l’esperanto et ceux qui, dans tous les pays du monde, lui ont donné un énergique appui ne professent nullement l’ambition de remplacer les langues actuelles, avec leur long et si beau passé de littérature et de philosophie ; ils proposent leur appareil d’entente commune entre les nations comme un simple auxiliaire des parlers nationaux. Toutefois, on peut se demander si nos langues policées, si nobles dans la bouche des génies qui les ont le mieux interprétées et en ont fait un merveilleux organisme de force, de souplesse et de charme, on peut se demander si, par l’effet de la loi du moindre effort, il n’y aura pas tendance de la part de ceux que l’école aura rendus maîtres des deux langues, l’une apprise de la mère, l’autre acquise dans le dictionnaire, à se laisser aller à l’emploi permanent de l’idiome le plus facile, le plus régulier, le plus logique. Quoi qu’il en soit, une révolution aussi capitale que le serait l’adoption d’une langue universelle ne pourrait s’accomplir sans avoir dans la vie des nations les conséquences les plus importantes en faveur de la paix et d’un accord conscient.

Encore plus riche en résultats sera la révolution de l’hygiène qui s’opère maintenant dans tous les pays policés du monde, et même en certaines contrées barbares, notamment dans les régions marécageuses d’où l’on chasse le moustique anophèle, et sur les grandes routes des communes où l’on arrête les contagions mondiales telles que le choléra, la fièvre jaune et la peste. Ces changements sont de tout premier ordre parce qu’ils s’appliquent directement à l’ensemble de l’humanité comme