Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/498

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
474
l’homme et la terre. — éducation

A l’exemple du monarque fameux, des réformateurs autoritaires ont proposé la gérance de l’Etat, son intervention directe dans toutes les unions, comme le moyen d’assurer à l’humanité future la plus grande somme accessible de force, de longévité, de qualités physiques et morales. Certes, il n’est point impossible que, dans une société comme la nôtre, qui comporte encore des princes absolus « par la grâce de Dieu », et qui voit en même temps la science se développer dans toute la magnificence de ses découvertes, il n’est pas impossible que des souverains ou même des partis soi-disant « scientifiques » aient l’audace d’intervenir dans les rapports naturels entre l’homme et la femme, exerçant à leur tour ce droit d’injonction dans le mariage que pratiquaient naguère presque tous les parents en vertu du droit de propriété sur leurs enfants. Il est très probable même que des tentatives seront faites dans ce sens, car, dans le grand travail d’expérimentation que représente l’histoire, tout est essayé successivement, toutes les combinaisons se reproduisent de façon imprévue ; mais d’avance, on peut prédire le plus lamentable échec à ceux qui, se plaçant insolemment au-dessus des lois naturelles de l’affinité spontanée des sexes, essaieraient de créer un genre humain à leur estampille. Leur réussite même serait le désastre des désastres, car ces hommes que fabriqueraient les souverains ne seraient plus des hommes, ce seraient des esclaves ayant les « qualités » de l’esclave, c’est-à-dire des êtres heureux de leur avilissement, acceptant leur déchéance avec résignation et de plus en plus dépourvus d’initiative et de ressort. C’est ainsi que les Pharaon, aidés par des ministres de la trempe d’un Joseph, créèrent une race de patients laboureurs, ne formant qu’un même appareil agricole avec le bœuf au pas lent qui marche devant la charrue. Les Péruviens, sous le régime des Inca, les Guarani sous l’apostolat des Jésuites, tels sont les types que l’on choisirait pour les reproduire suivant un modèle dont le relief serait de jour en jour plus effacé. Que de fois déjà l’intervention des prêtres et des patrons s’est exercée dans ce sens, les unions des belles filles avec les « mauvaises têtes » étant toujours déconseillées avec insistance, que de fois les parents, en désaccord avec leurs enfants voulant se marier, ont-ils préféré la « position » à la robustesse et à la beauté ; que de malheurs, que de suicides, que de crimes ces interventions n’ont-elles pas causés !

En cette question capitale de la direction scientifique à donner aux