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cycles de la vie terrestre

et les lacs taris, les rangées de dunes envahissantes ont entraîné la disparition des villes, des civilisations et des nations elles-mêmes. Le désert de sable a remplacé les campagnes et les cités. L’homme n’a pu se maintenir contre la nature hostile.

Quelle que soit la notion que l’on se fasse du progrès, un point semble tout d’abord hors de doute. C’est qu’à diverses époques des individus ont surgi qui, par quelque trait, se placent au premier rang parmi les hommes de tous temps et de tous pays. Les noms se pressent par vingtaine des personnages, qui par la perspicacité, la puissance de travail, une bonté profonde, la vertu morale, le sens artistique, ou tout autre aspect du caractère ou du talent, constituent, dans leur sphère particulière, des types parfaits, insurpassables. L’histoire de la Grèce surtout nous en montre de grands exemples, mais d’autres groupements humains en ont possédé, que nous avons souvent à deviner sous les mythes et les légendes. Qui pourrait se prétendre meilleur que Çakya-Muni ? plus artiste que Phidias, plus inventif qu’Archimède, plus sage que Marc-Aurèle ? Le progrès durant les trois mille années récentes consisterait, s’il existe, en une diffusion plus large de cette initiative autrefois réservée à quelques-uns et en une meilleure utilisation par la société des cerveaux de génie.

Quelques grands esprits ne se contentent point d’admettre ces restrictions capitales à la notion du progrès, ils nient même qu’il puisse y avoir amélioration réelle dans l’état général de l’humanité. Toute impression de progrès serait d’après eux une pure illusion et n’aurait qu’une valeur toute personnelle. Chez la plupart des hommes, le fait du changement se confond avec l’idée de progrès ou de régrès suivant qu’il se rapproche ou s’éloigne du degré particulier occupé par l’observateur sur l’échelle des êtres. Les missionnaires qui rencontrent de superbes sauvages, se mouvant librement dans leur nudité, croient les faire « progresser » en leur donnant des robes et des blouses, des souliers et des chapeaux, des catéchismes et des bibles, en leur enseignant à psalmodier en anglais ou en latin. De quels chants de triomphe en l’honneur du progrès n’ont pas été accompagnées les inaugurations de toutes les usines industrielles avec leurs annexes de cabarets et d’hôpitaux[1] ! Certes, l’industrie amena de réels progrès dans

  1. Havelock Ellis, The Nineteenth Century.