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l’homme et la terre. — progrès

humaines et dans l’ensemble de l’évolution des hommes doit en grande partie sa prise sur les esprits à ce fait que les recherches géologiques nous ont révélé dans la succession des phénomènes, sinon un « plan divin », comme on disait autrefois, mais une évolution naturelle affinant de plus en plus la vie en des organismes toujours plus complexes. Ainsi les premières formes vitales dont on voit les débris ou les traces dans les assises de la terre les plus anciennes présentent des traits rudimentaires, uniformes, peu différenciés, constituant comme autant d’ébauches de mieux en mieux réussies des espèces qui se montreront ultérieurement durant la série des âges. Les plantes feuillues viennent après les végétaux sans feuilles ; les animaux vertébrés suivent les invertébrés ; de cycle en cycle, les cerveaux se développent, et l’homme, dernier venu, à l’exception toutefois de ses propres parasites[1], est le seul de tous les animaux qui ait acquis par la parole la pleine liberté d’exprimer sa pensée et par le feu la puissance de transformer la nature.

En reportant la pensée sur un champ plus étroit, celui dans lequel l’histoire écrite des nations se trouve limitée, le progrès général n’apparaît pas avec la même évidence, et nombre d’esprits chagrins ont pu se dire que l’humanité ne progresse point, mais se déplace seulement, gagnant d’un côté, perdant de l’autre, s’élevant par certains peuples, se gangrenant par d’autres. A l’époque même où les sociologues les plus optimistes préparaient la Révolution française au nom des progrès indéfinis de l’homme, d’autres écrivains, impressionnés par les récits des explorateurs qu’avait séduits la vie simple des peuplades lointaines, parlaient de retourner au genre d’existence de ces primitifs. « Revenir à la nature », tel fut le cri de Jean-Jacques, et, chose bizarre, cet appel, pourtant si contraire à celui des « Droits de l’Homme et du Républicain », se retrouve dans le langage et les idées du temps. Les révolutionnaires veulent à la fois retourner vers les siècles de Rome et de Sparte, ainsi que vers les âges heureux et purs des tribus préhistoriques.

De nos jours, un mouvement analogue de « retour à la nature » se fait sentir et même d’une manière plus sérieuse qu’au temps de Rousseau, car la société présente, élargie jusqu’à embrasser l’entière humanité, tend à s’assimiler d’une manière plus intime les éléments ethniques

  1. Elie Metchnikoff, Etudes sur la nature humaine.