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entr’aide des nations modernes

retourner vers les origines : les diversités de langues, de partis, d’intérêts locaux l’emportaient sur le sentiment de l’unité humaine qui avait soutenu pour un temps la nation progressive.

De nos jours, les divers groupes ethniques civilisés sont déjà tellement pénétrés de cette idée de l’unité humaine qu’ils sont, pour ainsi dire, immunisés contre la décadence et contre la mort. A moins de grandes révolutions cosmiques dont l’ombre ne s’est pas encore projetée devant nous, les nations modernes échapperont désormais à ces phénomènes de ruine, définitive en apparence, qui se sont produits chez tant de peuples anciens. Certes, les « transgressions » politiques, analogues aux transgressions marines sur les rivages, auront lieu sur les frontières des Etats, et ces frontières elles mêmes disparaîtront en maints endroits, en attendant le jour où elles cesseront partout d’exister ; divers noms géographiques pourront être effacés des cartes, mais cela n’empêchera point que les peuples embrassés dans le domaine de la civilisation moderne, part très considérable des terres émergées, continueront de participer aux progrès matériels, intellectuels et moraux les uns des autres. Ils sont dans la période de l’entr’aide et, même quand ils s’entre-heurtent en chocs sanglants, ils ne cessent de travailler partiellement à l’œuvre commune. Lors de la dernière grande guerre européenne entre la France et l’Allemagne, des centaines de milliers d’hommes périrent, des récoltes furent ravagées et des richesses détruites ; on s’exécra et se maudit de part et d’autre, mais cela n’empêcha point que le travail de la pensée se continuât des deux côtés, au profit de tous les hommes, y compris les adversaires mutuels. On se disputa patriotiquement pour savoir où le sérum de la diphtérie avait été efficacement découvert et appliqué pour la première fois, à l’est ou à l’ouest des Vosges, mais, en France comme en Allemagne, le médicament accrut la puissance de l’homme solidaire sur la nature indifférente. C’est ainsi que mille autres inventions nouvelles sont devenues le patrimoine commun des deux nations voisines, ennemies rivales, il est vrai, mais, au fond très intimement amies, puisqu’elles travaillent avec acharnement à l’œuvre générale qui doit profiter à tous les hommes. Et là-bas, du côté de l’Extrême Orient, la guerre sourde ou déchaînée entre Japonais et Russes ne peut arrêter les progrès étonnants qui s’accomplissent en ces régions du monde dans le sens de la répartition de la culture et de l’idéal humains. Déjà une période historique a