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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

jamais sous les Pharaons. Ce n’est pas tout. On a constaté que, dans une grande partie du désert nubien, notamment au sud de Korosko, où le chemin de fer et l’ancienne route des caravanes pointent directement au sud, vers Abu-Hammed, en laissant à l’ouest le vaste méandre du Nil, les terres sableuses sont de nature excellente : il leur manque seulement de l’eau pour les féconder. Encore plus au sud, les plaines qui se relèvent par degrés vers les pentes du massif d’Ethiopie se prêteraient admirablement au travail de la charrue si les eaux ne s’y perdaient en marécages dus à l’obstruction du fleuve par la végétation, le sudd ; enfin, plus loin encore, dans la direction de l’équateur, les étendues, sans bornes visibles, où serpentent le Bahr-el-Djebel et le Bahr-el-Ghazal, dans la terre grasse et molle entre les rives changeantes, sont le fond d’un ancien lac qui pourrait devenir un immense champ de labourage. Ainsi, de la cataracte de Ripon, à la sortie du Grand Nyanza, jusqu’à celle d’Assouan, sur une longueur de 2 000 kilomètres, l’endiguement et la bonne distribution des eaux du Nil et de ses affluents auraient pour résultat d’accroître beaucoup, d’ajouter à la surface des terres cultivées un domaine grand comme la France et, indirectement, de doubler et au delà le nombre des bras travailleurs, tenant la bêche et payant l’impôt. C’est à cette œuvre que vont s’appliquer les dominateurs anglais pour exploiter industriellement le bassin du Nil dans tout son ensemble d’unité géographique.

Pourtant, on put craindre un instant que l’unité politique de celle zone fluviale fût menacée, lorsque l’expédition de Marchand à travers l’Afrique, dans la direction de l’est à l’ouest, fit croire à l’intention de la France de couper en deux l’empire anglo-nilotique par l’occupation définitive du poste de Fachoda. Les passions patriotiques s’exaltèrent rapidement de part et d’autre, et même l’on parla de guerre. Mais ce fut l’affaire d’un instant. Les Français évacuèrent la petite citadelle improvisée et, pour faire disparaître jusqu’aux dernières traces du conflit, le gouvernement britannique a même effacé de la carte le nom du lieu un moment disputé : il est maintenant désigné par l’appellation de Rodok ; les atlas ont fait la paix.

Si le cours du Nil Blanc tout entier est acquis à l’Angleterre, depuis les sources encore imparfaitement reconnues des affluents du Nyanza jusqu’aux branches à l’eau saline du delta, il n’en est pas de même du Fleuve Bleu, qui naît sur les hauteurs du grand massif de l’Ethiopie.