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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

de fer de l’Ouganda monte à l’assaut des hautes terres ; à l’ouest le Nil et ses zones riveraines enserrent les escarpements éthiopiens ; au nord, la voie ferrée de Suakim à Berber complétera le circuit : l’empire de Ménélik ne sera plus qu’une simple enclave.

Combien de drames politiques de même nature se sont joués, de l’autre côté des mers d’Arabie, dans la péninsule gangétique, monde colonial où les événements se déroulent avec une si puissante ampleur ! C’est l’Inde, avec son cortège de dépendances insulaires et continentales. On s’étonne de voir cette contrée, dont la population représente à peu près le cinquième de l’humanité, se soumettre, bien que d’une manière incomplète, à un pays éloigné, de 12 à 13 fois moindre en étendue, de 7 à 8 fois inférieur par le nombre des habitants. Le personnel des Anglais, hauts personnages, fonctionnaires, soldats, missionnaires, aventuriers et planteurs qui séjourne dans l’Inde, ne représente pas même la millième partie de la population indigène, et cependant il n’est pas douteux que l’immense empire de l’Inde fut assujetti par la violence, qu’il est encore contenu par la force matérielle et tout l’attirail complémentaire des canons et des fusils, des tribunaux et des prisons. Que l’oppression se fasse avec une prudence consommée, avec une grande connaissance des hommes et des foules, qu’elle sache habilement opposer les nationalités aux nationalités, se faire choisir comme arbitre de toutes les disputes, et terroriser les mécontents par des mercenaires enrôlés parmi les pillards du Népal et de l’Hindu-Kuch, elle doit quand même aboutir à de funestes conséquences pour les maîtres et pour les asservis.

Toutefois, toute question est infiniment complexe, surtout quand il s’agit de problèmes relatifs à des centaines de millions d’hommes et pendant plusieurs générations successives. Sans doute les Hindous ont eu à subir la rude domination de l’étranger, mais ils ont eu aussi l’avantage d’entrer plus facilement en communication les uns avec les autres et d’ouvrir les yeux sur le vaste monde extérieur. Il serait donc plus que téméraire de vouloir peser exactement la valeur du bien et du mal dans la transformation ethnique aussi bien que sociale et morale des populations hindoues. Un savant pandit, Sivanath Sastri, énumère en six arguments principaux les bienfaits de l’éducation anglaise au Bengale, qu’il oppose à cinq conséquences fâcheuses. Mais quel est le total qui l’emporterait, d’après lui ? A résumer les dires de cet indigène impartial,