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l’angleterre et le tibet

accompagnent une marche de longue durée, à une altitude de 3 à 4 000 mètres, parfaitement prévus ; aussi, toute la difficulté fut-elle de vaincre la diplomatie dilatoire des lama par une patience plus longue et une volonté plus forte. Bien que la distance de Dardjiling à Lhassa ne soit que de 400 kilomètres, il fallut plus d’un an pour la parcourir ; mais, enfin, l’Européen put pénétrer dans la « Ville interdite » (3 août 1904) ; du moins sut-il y entrer pacifiquement et se retirer dès que le traité de commerce fut signé. Les résultats géographiques de cette marche dans la vallée du haut Brahmaputra seront certainement fort importants.

Si grande est l’étendue de l’empire indien, si variées les multitudes de ses peuples, que la plupart des personnages qui représentent l’Angleterre font honnêtement leurs efforts pour ne pas accroître le vaste monde dont ils ont à gérer les richesses. La prudence a été telle, qu’à diverses reprises, la Grande Bretagne a refusé à ses nationaux la permission d’organiser des expéditions scientifiques vers le Tibet.

Mais ce domaine asiatique d’une si prodigieuse étendue est exposé, sur son pourtour de plusieurs milliers de lieues, à un si grand nombre d’incidents possibles que le plus prudent des administrateurs, sollicité dans sa mentalité de fonctionnaire par un double devoir national, celui de ne pas engager son gouvernement dans une aventure hâtive, mal combinée, et celui de ne pas diminuer le prestige britannique par trop de mansuétude, peut être le provocateur d’un conflit et, par suite, d’un agrandissement de territoire. Toutefois, il est des régions particulièrement intéressantes par l’industrie et le commerce, dont la valeur est telle que l’on n’a pas à simuler de fausse honte pour faire naître les occasions propices d’annexion. Ainsi a-t-on fort dextrement occupé le littoral de l’Arrakan, le delta ainsi que le cours du bas Iraouaddy, enfin les divers États de la péninsule malaise, qui promettent de devenir bientôt une autre Java par les produits et la population.

Comparée à la Chine, l’Inde a beaucoup moins de grandes cités : une part proportionnellement plus élevée de sa population continue de séjourner dans les campagnes, et certainement le régime des castes est l’une des raisons qui retardent la fondation et la croissance des villages et des villes dans la péninsule Gangétique. Les habitants de l’Inde, que