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l’homme et la terre. — milieux telluriques

Niger. C’est avec piété filiale que l’homme pensant prononce d’aussi grands noms.

Pendant le cours des âges, l’action première d’un élément du milieu se change donc toujours en son contraire. A l’origine, le grand fleuve séparait les hommes : les faunes diffèrent partiellement sur les deux bords de l’Amazone ; de même, à une époque historique récente, certaines tribus, inhabiles à braver le courant, ne passaient jamais d’une rive à l’autre : l’énorme fosse emplie d’eau mouvante formait limite aussi bien pour les hommes que pour les animaux. Et pourtant cet obstacle, infranchissable aux riverains primitifs, est devenu le grand véhicule des civilisés, le moyen de transport pour les choses, les hommes et les idées. De proche en proche, le batelier des fleuves se fait le voyageur par terre, le commerçant, l’homme multiple et divers qui se trouve à l’aise chez tous les peuples : tel le Diola des Rivières du Sud, que l’on rencontre partout, même par delà le Niger, et qui fit son premier apprentissage dans les marigots du littoral.

Mêmes phénomènes historiques pour les relations des peuples avec la mer. Combien de tribus, après être venues de la steppe, de la montagne, des forêts ou des fleuves, ont-elles eu à s’arrêter sur la plage ou sur la falaise extrême, sur la « Fin des terres » — Finisterre ou Landsend, — épouvantées par l’étendue des eaux sans bornes visibles, par le fracas monstrueux du déferlis grondant ! La mer, qui devait un jour porter de monde en monde les orgueilleux navires, fut d’abord pour les terriens une limite infranchissable, le domaine de la terreur. D’ailleurs, certaines parties du littoral marin devaient être pour leurs habitants de véritables prisons, non moins fermées que les cluses des montagnes ou les clairières perdues dans les forêts profondes. Outre les îles et les archipels de la côte, la zone littorale comprend des espaces nettement séparés de la terre ferme, dunes, marais ou rochers qui restent presque inabordables du côté des étendues continentales. Les résidants, ainsi privés de toutes relations faciles avec l’arrière-pays, restent forcément cantonnés dans leur étroit domaine. Ce sont des plantes auxquelles manque le sol nourricier : tels furent longtemps les « maraichins » de la Vendée.

Les populations strictement maritimes, restées presque tout à fait à l’écart des continentaux, réussirent pourtant en maintes contrées,