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cueillette, agriculture

aux champignons, en risquant de s’empoisonner, mais d’ordinaire avec la prudence commune aux animaux sauvages. Et ce que l’individu se trouve obligé de faire, de nos jours, comme aux temps anciens, des tribus entières, même des nations ont dû le pratiquer également, soit d’une manière permanente, avant l’aménagement de la terre à leurs besoins, soit pour une saison ou durant toute une période de famine[1].

Suivant les pays, le mode primitif de la cueillette peut être déterminé par les circonstances d’un milieu spécial, de manière à prendre un caractère unique au monde. Ainsi, les indigènes qui vivent dans le désert de grès et de sable de l’Australie nord-occidentale et qui sont obligés de parcourir la contrée à la recherche des « points d’eau », qu’ils épuisent successivement, commencent par brûler autour d’eux, souvent dans un espace de huit à dix kilomètres de rayon, la brousse de spinifex et autres plantes desséchées ; puis, quand l’incendie s’est éteint, les hommes et les enfants, armés d’un bâton pointu, explorent soigneusement les cendres pour y ramasser les lézards, serpents, rats, vers et semences que le feu, passant rapidement au-dessus du sol, a légèrement grillés sans les réduire en masses carbonisées. Quand le garde-manger naturel est épuisé ou que l’eau est tarie, la tribu se dirige vers un autre campement où elle procède de la même manière. Le cycle de l’année s’accomplit ainsi régulièrement par un voyage circulaire de source en source et par une rotation d’incendies partiels, prudemment étudiés à l’avance[2].

Dans les brousses et les forêts, l’homme qui en était encore réduit à la cueillette primitive dut chercher dans le sol même les graines, les bulbes et les racines, faisant ainsi connaissance avec les premiers éléments qui devaient l’aider un jour à découvrir l’agriculture. Il voyait les semences germer en plantes nouvelles, il cueillait les rejetons qui naissaient à la base d’une tige vieillie, et tel tubercule qu’il trouvait dans le sol avait déjà dressé sa plumule et soulevé la terre au-dessus d’elle[3].

L’agriculture était, pour ainsi dire, en état de préfloraison dans son esprit ; il ne lui manquait pour agir que la patience, la longue prévision, l’alliance avec le temps.

  1. Link, Urwelt und Alterthum.
  2. David W. Carnegie, Scottish Geographical Magazine, March 1868, p. 116.
  3. Ed. Hahn, Demeter und Baubo, p. 5.