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l’homme et la terre. — travail

monde on échange sous les formes les plus diverses, indique un certain accord entre les hommes, provenant d’un sentiment au moins rudimentaire de bonne volonté à l’égard les uns des autres. Un proverbe arabe l’exprime de la manière la plus noble : « Un figuier regardant un figuier apprend à porter des fruits. Il est vrai qu’un autre dicton, encore plein des haines antiques, limite cette bonne volonté aux membres d’une même nation : Ne regarde pas le dattier, dit l’Arabe, ne le regarde pas, car il ne parle pas à l’étranger.

Les exemples d’aide mutuelle parmi les animaux, cités dans les ouvrages des naturalistes, sont innombrables et il n’en est pas un seul qu’on ne puisse retrouver sous des formes peu différentes parmi les hommes[1]. Les fourmis et les abeilles fournissent à cet égard des faits d’une telle éloquence qu’il faut s’étonner de l’oubli momentané dans lequel les ont laissées les protagonistes d’une lutte constante et sans merci entre tous les êtres combattant pour l’existence. Sans doute des guerres se produisent entre telle et telle espèce de fourmis ; elles aussi ont des conquérants, des propriétaires d’esclaves ; mais il faut constater également qu’elles s’entr’aident au point de se nourrir mutuellement en cas de nécessité, de s’adonner à des travaux agricoles et même industriels, tels que la culture de certains champignons et la transformation chimique des grains, enfin de se sacrifier les unes pour les autres avec un dévouement absolu. Des colonies de fourmis, comprenant des centaines ou même des millions de fourmilières habitées par des espèces alliées, n’offrent que des scènes de bonne intelligence et de paix cordiale[2]. A la vue de toutes ces merveilles mentales, on est tenté de répéter les paroles de Darwin que « la cervelle de la fourmi est peut-être un prodige supérieur à la cervelle de l’homme ».

Et parmi les oiseaux, parmi les quadrupèdes et les bimanes, que d’exemples touchants de la solidarité qui unit certaines espèces ! La confiance mutuelle entre individus de la grande famille est telle que nul n’a besoin d’apprendre le courage : les plus petits oiseaux acceptent le combat avec un rapace ; on a vu le hoche queue braver des buses et des éperviers. Les corneilles, conscientes de leur force, s’acharnent après un aigle et le poursuivent de leurs moqueries. Dans les terres

  1. P. Kropotkine, L’Entr’aide.
  2. Forel, Bates, Romanes, etc.