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association de l’homme et de l’animal

les brahmanes hindous, une sorte de dieu ; nul serment n’est plus fort et plus respecté que la parole jurée « par les ancêtres de la vache ». Pour eux-mêmes, les Denka n’ont que des huttes ou de simples gîtes, mais pour les vaches malades, ils construisent des infirmeries admirablement propres, sur des terres toujours asséchées, s’élevant en îles au milieu de la plaine. Ils vivent presque uniquement du lait de leurs bêtes, vaches et chèvres, qui se prêtent complaisamment à la traite, mais ils ne sauraient consentir à tuer des animaux en santé. Les vaches denka, êtres gracieux qui ressemblent à des antilopes, sont respectées aussi longtemps qu’il est possible ; leurs maîtres, très sobres d’ailleurs, quoique très forts, et ne mangeant qu’une fois par jour, au coucher du soleil, se nourrissent seulement de la chair des bovidés malades ou souffrant de blessures ; cependant, il leur arrive parfois, en temps de famine, de saigner leurs bêtes pour en boire le sang, qu’ils mélangent à la crème. La communauté de mœurs leur fait vénérer les serpents inoffensifs qu’ils savent très friands de lait, et chaque demeure a plusieurs de ces ophidiens familiers que l’on connaît tous individuellement et que l’on appelle par leur nom[1].

De même, les civilisés de l’Egypte voisine apprivoisaient les crocodiles. Dans l’antiquité, les gens de Denderah étaient, dit-on, fort habiles à charmer ces animaux, communs dans le Ml à cette époque, et ils s’en servaient comme de montures.

Avant que des Européens mal appris eussent exercé leur adresse à tuer les sauriens du bassin de Pir-mangho, près de Karatchi (Kurrachee), ces bêtes sacrées accouraient fidèlement à l’appel de leurs gardiens et se laissaient chevaucher par les barioleurs pieux qui enjolivaient leurs groins de peintures[2]. Les gamins de Palembang (Sumatra méridional) jouent aussi avec les crocodiles, bien nourris par tous les débris de cuisine qui tombent des maisons sur pilotis, bâties dans le fleuve.

En nombre de peuplades, surtout dans l’Amérique méridionale, les jeunes hommes, et plus encore les femmes, ont un talent merveilleux pour charmer les animaux. Telle cabane d’Indien est environnée de toute une ménagerie, y compris des tapirs, des chevreuils, des sarigues et même des jaguars ; on y voit des singes gambader sur les

  1. Georg Schweinfurth, Im Herzen Afrikas.
  2. Richard Burton, Sind revisited ; Hermann von Schlagintweit, Reisen in Indien und Hochasien.