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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

monde des hommes primitifs, dans la protohistoire et dans l’histoire elle-même : promiscuité sans règle précise, communauté pratique suivant certaines conditions, polygamie et polyandrie, hiérarchie des épouses et des époux, lévirat, c’est-à-dire héritage imposé ou facultatif de la femme laissée par un frère aîné, enfin, monogamie temporaire ou permanente. Pourtant, on se laisse facilement aller à imaginer d’emblée une même façon de vivre à tous ces hommes primitifs, dont aucune mémoire ne nous est restée, et qui ressemblaient probablement aux populations sauvages de nos jours, chez lesquelles on observe des institutions diverses. Ainsi, nombre de sociologues admettaient d’une manière générale, mais sans preuve aucune, que « la promiscuité complète des hommes et des femmes, dans une même horde, fut l’état primordial de notre espèce ». Mais pourquoi en serait-il ainsi, puisque, par delà l’homme, dans le monde animal, nous voyons apparaître toutes les formes de « garnie », et, parmi ces formes, plusieurs témoignant d’un choix mutuel des individus ?

Les expériences instituées par Darwin, et, depuis, par Houzeau, Espinas, Romanes et tant d’autres, ont mis hors de doute que la « famille » existe réellement, quoique sous des aspects très divers, dans les groupes ancestraux de l’animalité. On trouve même, en plusieurs espèces, des exemples de cette famille monogamique à constant et inaltérable amour que les moralistes officiels considèrent comme ayant seule droit au titre de « mariage ». Toutefois, il est certain que ce genre d’union est parmi les moins communs, et que le mélange des sexes, se produisant en apparence d’une manière capricieuse, est le fait le plus ordinaire. Il semble donc très, probable que les mêmes mœurs aient prévalu chez la plupart des premiers hommes. Dans une société distincte, exposée à tous les dangers de la part des éléments, des animaux, des tribus ennemies, la personnalité collective comprenait tous les individus, hommes, femmes, enfants, d’une manière tellement intime que la propriété privée ne pouvait se constituer pour les séparer les uns des autres : tous faisaient également partie de la grande famille.

Ainsi que le dit Oscar Browning[1], il fut certainement une période

  1. Transactions of the Royal Historical Society, vol. VI, 1892, page 97.