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l’homme et la terre. — origines

Les fiers sommets qui se dressent en plein ciel, au-dessus des nuages, ne semblent-ils pas être la demeure des dieux, et n’est-ce pas aux pieds de ces divinités créatrices que le primate, animal privilégié, a dû voir en imagination la naissance de ses premiers parents ?

L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux !


ainsi chantait Lamartine. Non pas un « dieu tombé », car il monte plutôt, mais il se souvient de tout un infini. Issu de générations sans nombre, autres hommes ou anthropoïdes, animaux, plantes, organismes primaires, l’homme se remémore par sa structure tout ce que ses ancêtres ont vécu pendant la prodigieuse durée des âges. Il résume bien en lui tout ce qui le précéda dans l’existence, de même que, pendant sa vie embryonnaire, il présente successivement les formes diverses des organisations plus simples que la sienne. Ce n’est donc pas seulement dans les tribus sauvages qu’il faut essayer de retrouver l’homme ancien : c’est, aussi loin que possible, parmi ses aïeux, les animaux, là où rayonnent les premières lueurs de l’intelligence et de la bonté.

Les sociétés animales nous montrent, en effet, soit en germe, soit en état de réalisation déjà très avancée, les types les plus divers de nos sociétés humaines. Nous pouvons y chercher tous nos modèles. Dans leurs groupes si variés, nous trouvons ce même jeu des intérêts et des passions qui sollicitent et modifient incessamment notre vie et déterminent les allures progressives ou rétrogrades de la civilisation. Mais les manifestations de l’animal, plus naïves, moins complexes, dépourvues de l’enveloppe des phrases, des écrits, des légendes et des commentaires qui déguisent notre histoire, sont plus faciles à étudier, et l’observateur réussit à voir autour de soi les divers petits mondes dans la basse-cour, dans le hallier voisin, dans l’atmosphère et dans les eaux.

« Du temps que les bêtes parlaient », les hommes les comprenaient. Les êtres à deux et à quatre pattes, à peau lisse, à plumes et à écailles n’avaient point de secrets les uns pour les autres. L’entente était si complète que le peuple, supérieur aux philosophes par la juste, quoique subconsciente intelligence des choses, continua longtemps, continue encore çà et là de s’entretenir avec les animaux dans ces contes de fées qui constituent une part si importante de la littérature,