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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

de la mère au lieu de celui du père, et que leur état se réglait d’après celui de leur génitrice. Les inscriptions lyciennes, confirmant le dire du grand voyageur historien, ne mentionnent que les noms de la mère[1]. Aux exemples de matriarcat dans l’antiquité recueillis par Bachofen, Mac Lellan et de nombreux voyageurs ont ajouté les faits appartenant au monde contemporain parmi les populations non policées.

Pour ne choisir qu’une forme typique de cet état social, on peut citer des montagnards de l’Assam, au sud du Brahmaputra, les Garro et les Khasia. Même de nos jours, malgré l’influence des Indous et d’autres populations à type patriarcal, ces tribus se divisent en clans ayant conservé le nom de mahari, c’est-à-dire « matries ». Apparentés aux Tibétains, qui ont aussi des restes de gynécocratie, ces peuples voient toujours dans la femme le chef de la famille. C’est la vierge garro ou khasia qui fait au jeune homme la proposition de le prendre pour mari ; c’est elle aussi qui procède à l’enlèvement de l’époux choisi, accompagnée de ses amis et des servants du clan maternel. Le divorce appartient à la femme : à elle de jeter, quand il lui plaît, cinq coquillages en l’air pour que la séparation soit prononcée et que le mari rentre dans sa mairie première, en abandonnant les enfants à la dominatrice. Même quand l’homme a été toléré pendant toute sa vie, il lui faut divorcer le jour de sa mort : ses cendres sont renvoyées vers le lieu de son origine, tandis que la femme est brûlée avec honneur dans sa matrie ; plus tard, les urnes des enfants seront placées à côté de l’urne maternelle[2].

Dans le Nouveau Monde, on peut citer des exemples analogues, notamment celui des Hopi de l’Arizona. Ce sont les femmes qui possèdent les demeures et y reçoivent les maris en qualité d’hôtes. Les enfants appartiennent à leur clan et pendant toute la période de labeur, les pères doivent apporter le produit de leur travail comme tribut : ce sont eux qui tissent et cousent les vêtements de femmes[3].

En classant tous les faits relatifs à la constitution de la famille primitive chez les diverses contrées du monde, Cunow a pu démontrer nettement qu’il existe une dépendance étroite entre la constitution familiale et les conditions économiques. Ainsi n’a-t-on jamais ren-

  1. Bachofen, Mutterrecht ; M. Kovalevsky, Tableau des Origines et des Evolutions de la Famille.
  2. Dalton, Ethnology of Bengal.
  3. George Wharton James.