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patriarcat

reconnaît souvent à la femme mariée sa part dans les produits de la culture. Dans l’antagonisme continu des régimes, le patriarcat est, ainsi que nous le montre l’histoire, celui qui prévalut le plus souvent, et la cause en est aux difficultés de la lutte pour l’existence, qui demande l’emploi de la force, et au résultat des conflits qui se produisent dans les familles elles-mêmes.

L’entremêlement des traditions et des idées montre que partout, même chez les populations essentiellement patriarcales, se maintiennent encore quelques restes de l’ancien matriarcat, très bizarres parfois, comme chez les Ba-Luba du Kasaï, où les femmes sont de vraies esclaves, acquises à prix d’argent, mais où elles président pourtant comme « anciennes » à la bénédiction des semailles[1]. Ailleurs, notamment dans les sociétés berbères, la femme, serve elle-même, n’en protège pas moins l’étranger, comme une divinité. De même, dans notre moyen âge, la main d’une femme remplaçait le contact d’un autel. Les traces en sont devenues tellement faibles dans les sociétés modernes, fondées sur le droit du mari ou du père, que la vertu elle-même, virtus était considérée naguère comme le monopole du mâle[2]. Et naturellement cette prétention exclusive à la vertu dut engendrer tous les maux : jalousie féroce du mari propriétaire, brutalité dans l’éducation des enfants, brûlement des veuves, pratique et finalement devoir de l’infanticide.

On sait ce que certaines contrées de l’Inde guerrière étaient devenues sous ce régime. Au cours même de nos civilisations toutes récentes, jusqu’en plein « siècle des lumières », n’avons-nous pas vu les Radjputes ou « Fils de Rois », ces types de l’honneur traditionnel, se marier invariablement par la voie du rapt, laisser brûler leurs mères sur le bûcher paternel, et tuer presque toujours leurs filles, dans la crainte de ne pouvoir les marier avec assez de richesse et d’éclat ?

On constate, dans ce cas, combien le groupement social formé par le clan, la tribu ou la nation et consolidé par la morale traditionnelle a plus d’influence que les sentiments naturels manifestés dans le mariage et dans la parenté. Ces affections, ces convenances personnelles ont à s’adapter aux conventions dictées par l’opinion publique

  1. Garmijn, Bulletin de la Société belge de Géographie, nov. 1905.
  2. G. de Greef. Le Transformisme social.