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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

d’une part la défense victorieuse de son indépendance, grâce au cantonnement des pâtres en des bassins difficiles d’accès aux gens de la plaine, d’autre part l’extension conquérante de la communauté sur les campagnes inférieures. Ainsi la puissante Berne, à la fois plaine et montagne, oligarchie et république, s’empara du pays de Vaud, qu’elle opprima durement jusqu’à la fin du dix-huitième siècle ; les petits États associés qui entourent le lac des « Quatre cantons » tinrent sous leur domination politique le Tessin et la vallée du Rhin en amont du lac de Constance, de même que les grisons étaient maîtres de la Valteline, tels des aigles terrassant des moutons.

Diverses contrées non montagneuses offrent à leurs habitants des conditions analogues à celles que présentent des vallées de faible étendue, soit qu’elles se ramifient sur le pourtour d’un massif ou qu’elles soient disposées des deux côtés d’une longue arête. Même en des plaines continentales, en des régions marécageuses, sur des côtés maritimes, en des archipels, se rencontrent des districts qui par leurs conditions naturelles favorisent la naissance de petites communautés distinctes jouissant d’une réelle autonomie dans un organisme fédéral.

Ainsi le régime primitif déterminé par la nature même des lieux devait se maintenir jusque dans les temps modernes en des pays comme celui des Frisons, où les communications étaient rendues difficiles, du côté de la mer par le manque de profondeur et la violence des tempêtes, du côté de la terre par des marais et des prairies tremblantes. Les espaces asséchés et fertiles qui occupent la zone intermédiaire étaient autant d’îlots évités par le va-et-vient des conquêtes, et peuplés de gens ayant eu de siècle en siècle la pratique de la liberté : ils pouvaient espérer l’oubli, à moins que le désastre d’un déluge ne les forçât à sortir de leurs retraites pour prendre part aux guerres des voisins.

Des oasis parsemées dans les sables, comme celles de l’Egypte et de l’Arabie, de même que des îles voisines les unes des autres et peu différentes en grandeur et en ressources, notamment celles de la mer Egée et de certains parages insulindiens, offraient des avantages analogues pour faciliter une constitution républicaine des habitants. Des peuplades de bergers, vivant chacune dans un pli de la steppe, ont pu également se maintenir pendant de longs siècles dans un bel équilibre