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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

aucune, étaient complètement dépourvues de l’idée d’un au delà : que, simplement occupées des intérêts immédiats de leur vie journalière, elles se bornaient à rechercher leur bien-être matériel sans s’interroger sur les causes des phénomènes environnants, sans en poursuivre l’origine dans le monde inconnu. Il existerait, disent-ils, des peuples foncièrement irréligieux : tels les Ta-Ola ou « Hommes des Bois » que les deux Sarrazin ont découverts dans les profondeurs sylvestres de Célébès.

Pour donner du corps à cette affirmation, on cite l’exemple de fouilles en des emplacements de villages préhistoriques, où nul objet ne paraît avoir servi aux cérémonies d’un culte : au milieu de tant d’outils, dont plusieurs eurent un usage encore inexpliqué, on n’en voit aucun qui semble avoir été employé par les prêtres pour faire apparaître des dieux secourables ou pour conjurer des génies mauvais. Quand même le fait serait incontestable et que les héritages légués par nos ancêtres n’eussent contenu — chose bien improbable — ni fétiches, ni amulettes, ni baguettes magiques, on ne serait pas autorisé à en conclure que l’homme primitif, simple machine à fonctions corporelles, n’était pas en outre sollicité par la curiosité de l’inconnu. Ignorer la cause d’un fait et néanmoins la supposer par imagination pure est un travers naturel à tous les hommes.

Mais sur quels témoignages s’appuie-t-on d’ordinaire pour avancer l’opinion que parmi les tribus qui vivent encore ou vivaient récemment en dehors de l’influence directe des blancs, plusieurs sont étrangères à toute idée religieuse ? Sur ceux des missionnaires ou autres voyageurs chrétiens qui devaient avoir une tendance naturelle à considérer leur propre religion comme la seule réelle : lorsque, à l’énoncé de leurs croyances, catholiques ou protestants étaient accueillis par des rires de moquerie ou par un étonnement stupide, ils en concluaient aussitôt que leurs interlocuteurs n’étaient pas des êtres religieux. C’est ainsi que presque tous les peuples de civilisation non européenne furent jugés d’abord. Australiens, Cafres, Hottentots, Polynésiens, qui pourtant ont une mythologie si complète et qu’il a été si utile d’étudier dans toutes les questions de mentalité comparée, ont été classés jadis parmi les peuples dépourvus de religion.

D’ailleurs, il est des sauvages qui aiment à écarter les questions