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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

désir du mieux, la recherche du bonheur, ainsi que le démontre Feuerbach[1], l’homme veut se rattacher à tout ce qui, en dehors de lui, paraît à son imagination un moyen de protection efficace, et qu’il rend tel par l’ardeur de sa passion. Tel est bien le principe de la religion, toujours le même.

La croyance de l’individu, du groupe, de la peuplade ou de la nation prend ensuite le caractère spécial que lui imposent le milieu géographique primitif et le milieu historique, secondaire et complexe.

C’est un fait de signification profonde que le nom donné par les antiques Germains à leur plus haute divinité soit précisément celui d’Oski ou « Désir » : deux mille ans plus tard, la philosophie vient attester cette étymologie en reconnaissant que le dieu créé par l’homme est bien la figuration, de ses vœux. Ce que nous voulons, une puissance idéale imaginée par nous doit l’accorder : elle se crée pour nous satisfaire.

Toutes les religions eurent aussi à leur origine un élément nourricier d’importance capitale, le besoin de détente intellectuelle, qui se manifeste de deux manières : par le repos et par l’ivresse.

C’est une fatigue de penser, de comparer, de raisonner, de conduire sa vie, d’enchaîner ses agissements, de transformer logiquement des volontés en réalisations ; et que faire pour se reposer de cette fatigue, sinon déraisonner à plaisir, se laisser entraîner par la volupté de l’imagination déréglée, par celle du mysticisme qui rend possible toute impossibilité, par les délices de la folie ou même par celles de la mort, qui suppriment tout savoir et tout vouloir ? A l’activité succède le sommeil par un rythme normal ; de même l’alternance est naturelle de la vie raisonnable à celle qui méprise toute raison et cherche une autre justification de son existence. De là ce besoin des liqueurs fermentées ou des poisons affolants que l’on rencontre sous mille formes chez tous les peuples de la Terre et qui scandent si agréablement la vie des malheureux et même celle des heureux. Le famélique se donne ainsi les beaux rêves des éternels festins ; celui qu’on n’aime point se procure l’in-

  1. Das Wesen des Christenthums ; — Das Wesen der Religion.