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recherche de la vérité

sacrifice de la Cène, l’innocence de l’Homme-Dieu passe au dévorant et le péché de celui-ci passe au dévoré[1].

Ainsi toutes les religions actuelles, qui se présentent sous des formes si diverses et si compliquées en apparence, dérivent également de ce premier besoin qui tourmente le primitif : il a soif de comprendre, ou du moins d’avoir une explication, vraie ou fausse, des phénomènes de la nature, des problèmes de la mort et de l’au delà. Dans les esprits sincères ce besoin de savoir se présente sous une forme pure et donne une grande noblesse à l’évolution religieuse : la recherche de la vérité s’allie à la bonté du cœur et à la profondeur de la pensée. Aux temps anciens comme de nos jours, d’une manière peut être plus vague, mais non moins passionnante, des hommes éprouvaient le sentiment obscur et lointain qu’il existait des causes générales déterminant les innombrables faits isolés et distincts[2] ; dans le chaos du fini ils sentaient un infini auquel ils voulaient donner un nom, et sous les mille manifestations duquel ils cherchaient un lien d’unité constituant une sorte de monothéisme et de panthéisme à la fois. Une autre force agissait encore en l’homme pour en faire un être religieux, l’amour qui le portait vers tout ce monde extérieur vivant d’une vie analogue à la sienne, vers les sources et les ruisseaux, vers les arbres et les rochers, vers les monts et les nuages, vers le ciel resplendissant, l’aurore, le crépuscule, le large soleil et tous les astres disséminés dans l’espace.

L’évolution religieuse devait, par le développement même de ses causes, entraîner l’homme à une singulière illusion. Ab Jove principium, dit le proverbe. Rien de plus faux. Ce sont les hommes qui ont créé les divinités en faisant les chefs et les prêtres, en instituant des hiérarchies, en subordonnant les faibles aux forts, les pauvres aux riches, les naïfs aux astucieux, mais en armant aussi les opprimés du sentiment de la révolte. La société imaginaire des cieux correspond à la société réelle de la Terre. Quand les nations eurent des rois visant à la monarchie universelle, elles créèrent du même coup le dieu souverain, trônant dans l’empyrée par-dessus les hommes et les génies. À toutes les oscillations de l’humanité répondait un mou-

  1. Carl Vogt, Congrès de Bologne, p. 395.
  2. Max Müller, Origine et Développement de la Religion.