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l’homme et la terre. — divisions et rythme de l’histoire

seur des forêts dans lesquelles se cachaient les « coupeurs de têtes ». Deux grandes îles seulement, les plus rapprochées du continent asiatique, Sumatra et Java, se rattachaient au monde civilisé de l’Asie orientale; la première d’une manière très incomplète, puisque les forêts de l’intérieur et les plateaux étaient encore occupés par des barbares, ennemis de tout commerce avec l’étranger. Si Java jouit en entier du privilège d’être associée au domaine de la culture hindoue, elle le doit à la facilité d’accès qu’offrent ses deux rivages et à sa configuration géographique.

Mais cette terre merveilleuse, augmentée de quelques districts de Sumatra et d’un petit nombre d’îles voisines participant à la même civilisation, ne constitue pas, comparée à l’immensité de l’Océan, un territoire assez étendu pour fournir un foyer d’illumination éclairant tout le monde insulaire de l’Extrême Orient. Bien plus, le groupe des grandes îles, pris dans son ensemble, a certainement contribué, par l’étendue même de son labyrinthe, à empêcher que se formât l’unité historique des régions insulaires. Bornéo, Célébès, les principales terres de l’archipel des Philippines, la Nouvelle-Guinée — elle-même presque continentale — et la côte aride du continent voisin, l’Australie, sont autant de contrées dans lesquelles l’étranger, marin naufragé ou colon aventureux, courait le risque d’être accueilli en ennemi, peut-être même en gibier. Enfin, le détroit de Torrès, la principale porte océanique entre l’Insulinde et la Polynésie, est presque complètement barré par des récifs coralligènes.

De même, il n’eut pas été possible jadis de trouver, sur les rivages continentaux, un centre commun de civilisation pour le monde oriental. Si remarquable que fût le progrès de la pensée dans les communautés qui naquirent sur les rives de l’Indus et de la « Mère Ganga », à Ceylan, sur les côtes de Malabar et de Coromandel, dans les bassins des rivières indo-chinoises, dans les plaines fleuries du Yangtse-kiang et dans la « terre Jaune » des « Cent familles », ces diverses civilisations ne se groupèrent jamais en un tout politique, et le lien, fort relâché, qui les unit ne se maintint que pendant une courte période, sous l’influence du prosélytisme religieux. Les communications entre ces diverses contrées furent toujours rares et incertaines. Des tribus nombreuses, habitant en groupes indépendants toutes les régions des montagnes, partageaient en fragments distincts le territoire des nations