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l’homme et la terre. — divisions et rythme de l’histoire

de l’orient aussi bien que dans celle de l’occident, et, dans nombre de contrées, là par exemple où le mouvement des peuples s’est propagé le long d’un fleuve ou bien s’est porté de terres infertiles et forcément presque désertes vers des plaines fécondes en moissons et en hommes, les progrès de toute nature se sont accomplis suivant les conditions du milieu.

L’histoire du progrès dans les dix mille dernières années, de Babylone à Chicago, cette autre Babylone, par Athènes, Rome, Paris, Londres et New-York, est donc un phénomène tellement évident qu’on en a inféré la loi de la coïncidence des mouvements apparents de la civilisation et du soleil.

Toutefois, en s’en tenant à l’étude stricte de l’histoire, notamment celle des Asiates orientaux, et écartant tout notion hypothétique, il faudra bien constater que la propagation des forces constituant la civilisation se fait de peuple à peuple, à travers le grand corps de l’humanité, de la même manière que, dans l’organisme humain, la vie se propage de cellule à cellule, à la fois du centre vers la périphérie et de la périphérie vers le centre.

D’ailleurs, le monde actuel, où les foyers de civilisation se trouvent à la fois sur les points les plus opposés du globe, de l’Australie à la Grande Bretagne et du Japon au cap de Bonne-Espérance et à l’estuaire de la Plata, n’est-il pas la démonstration parfaite que la culture s’est librement répandue dans tous les sens ? Et comment l’histoire pourrait-elle se diviser nettement par tranches de durée, puisqu’elle a pour canevas, pour surface d’application, la Terre elle-même avec toutes ses inégalités, tous ses éléments fondamentaux répartis sans ordre visible, relief, roches, climat, flore et faune. La vie ne se découpe point en formules.

C’est par une illusion analogue à celle qui fait voir la civilisation cheminant d’un pas régulier de l’Orient à l’Occident que, dans un ordre inférieur de phénomènes, les hommes primitifs ont cru facilement à l’existence d’îles ou de régions des morts situées du côté de l’ouest par delà l’horizon. Des cartes de ce genre, dressées d’après les indications des indigènes, montreraient la très grande prépondérance des positions occidentales dans les sites présumés des paradis et des enfers mystérieux où les âmes des morts, reléguées loin de la terre