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l’homme et la terre. — divisions et rythme de l’histoire

nous avons tous fait, celui d’être emporté là-bas, vers le soleil couchant, pour nous ensevelir en pleine lumière dans les draperies changeantes de pourpre et d’or ?

Les générations se suivent d’une manière continue, chaque minute emportant des cellules usées, chaque minute apportant des cellules nouvelles, des individus naissant à la vie pour remplacer les morts. Les mouvements d’évolution se produisent donc d’une manière insensible, mais quand on les étudie à des intervalles d’années, de décades, de siècles, on remarque des contrastes, on distingue des physionomies différentes dans l’ensemble des individus et de leurs idées : la société ne suit plus la même direction, elle a d’autres allures, une orientation nouvelle. Les générations se distinguent l’une de l’autre, « comme les nœuds d’une graminée ». Dans l’arbre que tranche la scie, on voit les pousses annuelles de la végétation ; de même les siècles écoulés montrent des élans successifs, des avancements lents ou soudains, puis des retards et des arrêts apparents.

Ces différences dans le mouvement général de l’Humanité et dans la marche particulière des groupes humains s’accomplissent-elles au hasard, sans loi, ou bien au contraire avec une certaine régularité ? Il semble bien que la succession des idées rectrices et celle des faits qui en découlent se produise avec une sorte de rythme, comme si un balancier en réglait les alternances. Des théories diverses ont voulu décrire ces variations. Ainsi Vico, dans sa Scienza Nuova, nous montre les sociétés évoluant pendant la série des âges par corsi et ricorsi, c’est-à-dire par progrès et regrès réguliers, décrivant des cercles dans le temps et ramenant toujours un même état de choses après l’achèvement du circuit. C’est là une conception un peu enfantine dans sa simplicité et nul disciple de Vico n’a pu l’admettre sans la modifier : il est trop évident en effet que l’on ne saurait citer aucune période de l’histoire qui reproduise identiquement une autre période : les conditions géographiques, économiques, politiques, sociales peuvent offrir certaines ressemblances frappantes, mais l’ensemble de la situation présente aussi des différences essentielles provenant des actions et des réactions qui se sont produites à l’infini dans l’immense organisme de l’humanité. Aussi a-t-on cessé