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l’homme et la terre. — iranie

Darius, le Grand Roi, le Roi des Rois, le Roi de Perse, le Roi des Provinces, le fils d’Hystaspès, le petit-fils d’Arsamès, l’Akhéménide… », ainsi commence l’orgueilleux récit.

A l’époque où Darius célébrait ainsi sa propre gloire, en ces termes emphatiques, qui sont si souvent la preuve certaine de la décadence morale et bientôt de la décadence matérielle des nations, presque tous les pays civilisés de l’Asie occidentale se trouvaient juxtaposés dans l’unité de son vaste empire.

La conquête accomplie par les Mèdes et les Perses n’était pas aussi oppressive dans son essence que le sont aujourd’hui les annexions « patriotiques » imposant aux vaincus un changement de langage et de culture ; chaque peuple gardait ses lois, ses mœurs, même son administration indigène, sous la suzeraineté du grand roi : les sujets n’étaient astreints qu’aux impôts et au service militaire. Le maître, dominant une multitude de nations, petites et grandes, se plaisait à cette diversité des races et des langues dans la foule des asservis, et n’avait aucune idée de la constitution possible d’un état politique dont tous les membres n’eussent formé qu’un seul organisme national et n’auraient eu qu’une seule façon de penser : il lui suffisait d’être le dominateur sans conteste, de mander sa volonté absolue à tout un monde de satrapes dociles et de la faire exécuter par des millions de soldats dressés à coups de lanière.

A l’égard des princes féodaux de la Perse, le « Roi des rois » n’était guère que le « premier parmi ses pairs », mais pour les vaincus de l’étranger, il était un maître absolu. Evidemment, l’effet de cette double forme de commandement devait se développer au profit du pouvoir autocratique ; cependant, les historiens grecs, sans essayer de comprendre la mentalité des rois perses, sont obligés de constater que, différents des Assyriens, ils épargnaient d’ordinaire les ennemis vaincus et ne se croyaient même pas en droit de traiter rudement les esclaves[1]. Cyrus et après lui Darius se gardèrent bien d’exterminer les nations conquises ; des anciens Perses, ils avaient gardé, en partie du moins, le respect de la vie humaine.

Parmi les peuples que le « Grand Roi » cite comme asservis et lui payant tribut, il a l’impudence de nommer Sparte et l’Ionie, c’est-à-dire

  1. De Gobineau, Histoire des Perses, tome I, p. 403.