Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
454
l’homme et la terre. — Caucasie

de troncs d’arbres et de fascines, il fit allumer et attiser le tout par cent mille forgerons, jusqu’à ce que tous les métaux fussent fondus en une seule masse. » Le mur que nous voyons aujourd’hui est censé le reste de ce rempart d’Alexandre.

En dépit des Alexandre et des autres rois légendaires, les Yadjuj et les Madjuj, c’est-à-dire des envahisseurs de toutes les races du nord, passèrent par le chemin fatal, qui d’ailleurs n’est point barré dans sa partie septentrionale. Et cette région du Caucase, dite aujourd’hui le Daghestan ou « Pays des Montagnes », entre la pointe d’Apcheron et la vallée du Sulak, les vallées rayonnent vers l’est, le nord-est et le nord, et c’est ainsi que successivement purent se glisser vers l’intérieur du massif des multitudes de ces fugitifs et conquérants qui, avec les immigrants du versant méridional, se pressent en une si étonnante Babel de nations hétérogènes.

Toute la partie occidentale du Caucase comprise entre le Darial et le Bosphore cimmérien (kimmérien) présente une très grande unité dans ses éléments ethniques, unité qui correspond d’une manière frappante avec la simplicité de sa formation orographique. En premier lieu, la chaîne occidentale, très régulière dans son orientation vers le nord-ouest, se présente réellement comme un mur inexpugnable sur un développement d’environ 200 kilomètres, du Kazbek à l’Elbruz ou Minghi-Taou ; en outre, la faible épaisseur relative de la chaîne ne laissant à l’intérieur qu’un petit nombre de bassins favorables à la colonisation, les migrateurs que la lutte pour l’existence avait menés au pied du Caucase occidental ou de ses chaînons parallèles, soit au nord, soit au sud, devaient s’arrêter dans leur marche ou se replier latéralement dans la direction de la mer. La montagne ne leur offrait dans cette partie de son arête qu’un petit nombre de brèches transversales invitant les voyageurs à l’ascension ; les murs parallèles qui se succèdent du nord au sud sont très difficiles à franchir, les plus bas à cause de leurs roches abruptes et de leurs forêts continues et presque impénétrables, les plus hauts à cause de leurs neiges. Quant à tenter un voyage circulaire pour contourner de l’un à l’autre versant l’extrémité du Caucase occidental, il eût été presque chimérique de l’entreprendre, car sur la rive méridionale, les promontoires, tous faciles à défendre par un petit nombre d’hommes, plongent par centaines dans les flots de la mer Noire.