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l’homme et la terre. — potamie

être en même temps la grande voie de trafic entre la mer des Indes et la Méditerranée : dès les origines de la civilisation, c’est sans doute par là que se firent les échanges de l’or, des perles, des diamants, des étoffes de coton et de soie avec les denrées de l’occident.

L’Euphrate, continuant directement l’axe du golfe Persique vers le golfe d’Issos, était une voie naturelle plus utile et mieux située qu’une autre route toute faite, la vallée du Nil. Cependant, cette dernière, presque parallèle à la mer Rouge dans la moitié inférieure de son cours, et communiquant avec ce golfe allongé par un certain nombre de routes latérales d’un accès facile, devait acquérir également une importance capitale dans le trafic de monde à monde et, par conséquent, une concurrence très âpre et très ardente naquit certainement entre les empires riverains des deux fleuves. Les modernes sont assez tentés de croire que les guerres de rivalité commerciale sont d’origine récente, et que d’hier seulement les puissances se disputent les marchés lointains. Ceci est un exemple mémorable du contraire : les Sésostris, les Assurbanipal et les Kambyse étaient les représentants couronnés de la banque et des monopoles de l’époque, comme le furent dans l’Inde, au siècle dernier, les Dupleix et les Clive, comme le sont, en ce siècle, le puissances copartageantes de l’Afrique.

Sur les deux grandes voies naturelles du Tigre et de l’Euphrate, quelques points étaient désignés par la nature pour devenir des lieux historiques par excellence. Tels sont les passages du Tigre, près du confluent du grand Zab et de l’emplacement où s’élevait autrefois la cité de Ninive, non loin des campagnes où se livrèrent tant de batailles, entre autres celle d’Arbelles, qui donna l’empire perse aux Macédoniens. Telle est aussi la région des fleuves jumeaux où les courants se rapprochent et où vient aboutir la large vallée de la Diyalah. En cet endroit où les deux lignes vitales sont en contact, pour ainsi dire, et où les canaux s’entremêlent en un labyrinthe immense, se trouvent les ruines de l’antique Babylone, celles de Séleucie, capitale des successeurs d’Alexandre, de Ctesiphon, résidence de la dynastie perse des Sassanides, et la ville actuelle de Bagdad. Là est le vrai centre de gravité de toute la Mésopotamie. On peut reconnaître aussi d’un regard quels furent les points vitaux de l’Euphrate moyen. Les chemins entre le fleuve et la Méditerranée commençaient là où cesse le désert, et passaient par Antioche ou par Tadmor et Damas.