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commerce, littérature

et la libre communication de la pensée. Les Akkadiens, ces Touraniens qui fondèrent les premières cités dans la basse plaine de la Mésopotamie, y gravaient déjà leurs inscriptions soixante-dix siècles avant nous. La légende du déluge, telle que la raconte Bérose, témoigne du respect que les Babyloniens professaient déjà pour les livres aux origines de l’histoire. La première recommandation faite à Zisuthros en prévision du grand cataclysme fut de prendre le commencement, le milieu et la fin de tout ce qui avait été consigné par écrit et de l’enfouir sous la ville du Soleil, Sippara. Tandis que la même légende de l’inondation universelle, reproduite par les Hébreux, ne mentionne que les précautions nécessaires pour la perpétuation des espèces animales, le récit de Bérose signale avant tout la sollicitude du Dieu sauveteur pour la préservation des trésors de la pensée. Du reste, le mythe de la création même impliquait chez les Babyloniens la naissance des livres comme nécessaire à celle de l’homme : Eridu fut bâtie dans toute sa belle ordonnance de richesse, c’est-à-dire avec ses observatoires et ses recueils de tablettes avant que la « graine d’humanité n’y fût semée »[1]. Si longue avait été la période de développement scientifique avant les temps où l’histoire commence à se préciser pour nous que l’on ne pouvait alors s’imaginer une époque antérieure à celle des livres. Chaque cité rivalisait d’orgueil comme centre littéraire. Uruk ou Warka en Chaldée — l’Erekh de la Bible et l’Orchoé des géographes grecs — fut aussi, comme Sippara, une « ville des livres » ; Chargina avait fondé une bibliothèque à Nippur : c’est là qu’Assurbanipal fit copier la plupart des textes destinés aux annales du palais de Ninive, et dont le contenu couvrirait dans le format in-quarto des livres modernes plus de 500 volumes de 500 pages[2].

Aussi loin qu’on remonte dans le passé, les documents indiquent pour l’origine de l’écriture des temps plus anciens, et les savants attendent avec confiance le jour où les antiques bibliothèques de la Potamie auront été suffisamment explorées et compulsées pour que l’histoire de ces contrées leur soit connue cinquante siècles avant nous, dans tous ses détails, et plus clairement que celle de la Grèce d’avant les guerres médiques, que celle de Rome d’avant Scipion[3].

  1. A. Loisy, Les Mythes babyloniens, p. 63, passim.
  2. Fr. Lenormant, Les premières Civilisations, tome II ; — Hilprecht, Fouilles de Nippur ; — E. Nys, Revue de Droit international et de Législation comparée.
  3. Hugo Winckler, Die Vœlker Vorder-Asiens.