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l’homme et la terre. — milieux telluriques

mètres au-dessus de la mer ne reçoit pas, dans une même aspiration, la même quantité d’oxygène que dans les régions basses, et cette insuffisance de gaz vivifiant l’expose, durant l’ascension, à ce « mal des montagnes » qui provient de la non-élimination des principes vénéneux restés dans l’organisme.

Par suite d’ « anémie barométrique »[1], les visiteurs des hauts plateaux sont donc exposés à des maladies particulières, différentes de celles qui règnent dans les basses plaines. Mais l’être humain peut réussir à s’acclimater, grâce à une modification physiologique : les globules rouges, dont on compte environ 5 millions par millimètre cube de sang chez les hommes qui vivent dans les campagnes du littoral marin, s’élèvent à 8 millions et même au delà chez ceux qui résident à 4 000 mètres d’altitude. Non seulement la succession des familles, mais l’individu lui-même peut s’accommoder assez rapidement, par l’accroissement des globules sanguins, à l’existence dans l’air raréfié des hauteurs[2].

Le résultat de ces changements a permis aux montagnards de se distinguer uniformément des gens de la plaine par les dimensions de la cage thoracique. Les Quichua, les Aymara, aussi bien que les Tibétains, étonnent par la structure massive du tronc, auquel se rattachent des membres que les gens de la plaine trouvent de forme disgracieuse. Même les descendants purs des Espagnols qui se sont établis, il y a trois ou quatre siècles, sur les plateaux de la Colombie et du Mexique diffèrent singulièrement de leurs frères de race castillane par les dimensions du buste.

Nous tous, voyageurs, qui visitons les montagnes pendant la belle saison, et qui nous plaisons à respirer la bonne senteur des herbes, à cueillir les fleurs éclatantes des alpages, à cheminer au bord des gaves sous les branches des aunes, nous ne cherchons point, d’ordinaire, à nous imaginer ce que fut la vie des montagnards primitifs, ce qu’est celle de leurs descendants enfermés dans ces hauts réduits, si pittoresques et avenants en été.

Des routes sinueuses, tracées en encorbellement au-dessus des pré-

  1. Tyndall ; Bert ; Jourdanet, Du Mexique au point de vue de son influence sur la vie de l’Homme.
  2. Freshfield ; Whymper ; Tyndall ; — Viault, Société de Géographie commerciale de Bordeaux, Séance du 4 mars 1895.