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l’homme et la terre. — palestine

produits de la flore spontanée leur procura la ressource du commerce avec les pays lointains, et leur domaine de civilisation s’en trouva singulièrement élargi. Cette contrée des antiques Sabéens est très riche en essences diverses produisant des sèves et des gommes d’une rare vertu : c’était la patrie par excellence des drogues et des aromates, la casse, le séné, la myrrhe, l’encens et le kât (celastrus edulis) que l’on emploie comme le café et qui enivre comme le hachich, quoique moins légèrement. Grâce à ces richesses naturelles, plus appréciées autrefois qu’elles ne le sont aujourd’hui, le massif sud-occidental de l’Arabie était devenu fameux dans le monde connu des Orientaux : pour les navires de l’Inde occidentale, un des principaux lieux de rendez-vous était l’entrée méridionale de la manche arabique avec son parvis maritime jusqu’au promontoire des « Aromates » le cap Guardafui des marins actuels.

Toutefois, la valeur de l’Arabie Heureuse dans l’histoire du développement humain resterait inexplicable si l’on n’étudiait ce massif dans ses rapports de voisinage avec un autre, celui de l’Ethiopie, se dressant à l’Occident du détroit. Ces deux groupes de hautes terres sont les pylônes érigés de chaque côté du passage qui fait communiquer la mer des Indes avec le long couloir maritime conduisant à la Méditerranée : les monts de l’Afrique font superbement face à ceux de l’Asie. A 300 kilomètres de distance, et de sommet à sommet pointant par-dessus la tangente de la courbure terrestre, il n’est pas impossible qu’Ethiopiens et Hymiarites puissent discerner parfois le profil des montagnes de leurs voisins se dessinant sur le fond gris du ciel. Sans doute la différence des altitudes entre les hauteurs froides et les plages brûlantes du littoral constituait un sérieux obstacle, mais l’appel ne s’en faisait pas moins de part et d’autre, et les riverains, les matelots servaient de porteurs entre les populations des deux massifs lorsque les échanges directs ne pouvaient pas s’accomplir. Le mouvement de va-et-vient s’était établi ; par la force des choses, une sorte d’isthme commercial s’était formé au lieu même où s’ouvrait transversalement un détroit. Le pays de l’Arabie sud-occidentale, où dominèrent successivement les Minéens, les Sabéens, les Hymiarites, tous enfants de Sem, était donc une de ces contrées qui possèdent le grand avantage d’être au croisement de deux voies historiques primordiales. Souvent dans l’antiquité, lorsque la route directe qui se recourbe