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l’homme et la terre. — égypte

qu’on y travaillait diversement les pierres de la contrée, surtout une sorte de stéatite ou pierre ollaire, très résistante au feu : on en fabriquait des ustensiles de cuisine, assiettes, pots et marmites. Pour les pièces de choix, on employait une espèce de serpentine métamorphique très dure, et ce sont principalement des vases de cette provenance que l’on trouve à côté des vieux silex dans les tombes des Pharaons antiques. Or, depuis les temps de la préhistoire, l’industrie des Ababdeh et les Bichârin n’a point changé, et c’est toujours de la même manière qu’ils fabriquent leur batterie de cuisine.

Schweinfurth émet l’hypothèse que les indigènes, maintenant dégénérés, de la Nubie orientale prirent une grande part dans l’occupation de la vallée du Nil, à l’époque où, par ses allures incertaines, ses marais et la végétation de ses bords, le bas fleuve ressemblait au Nil bleu de Senâr, entre les monts de l’Abyssinie et le confluent de Khartum. Alors la basse Égypte n’était qu’un vaste marécage, et le cours fluvial, entre la première cataracte et le delta, encore laissé à l’état de nature, se composait d’un labyrinthe de coulées changeant de direction et d’importance relative suivant la force des crues et la durée des sécheresses ; des massifs de papyrus et d’autres plantes aquatiques se formaient rapidement sur les fonds vaseux, retardant le flot et l’écartant vers un autre lit, tandis que sur le sol plus affermi des îlots et des rives naissaient les arbres s’unissant en un impénétrable fourré où se cachaient les animaux sauvages. Ce n’est point en une pareille région que naquit une nation civilisée : les éléments devaient s’en former au dehors, au milieu d’espaces faciles à parcourir, où les hommes, d’allures très mobiles, pouvaient se grouper en masses considérables. Les âpres régions de l’est, quoique entièrement arides dans une forte partie de leur étendue, offraient cependant des lieux de passage et de réunion, et c’est là, pense-t-on, que se préparèrent les événements préliminaires pour la mise en valeur de la vallée nilotique.

Actuellement, le contraste absolu que présentent les fécondes campagnes riveraines du Nil, couvertes de villages, et les solitudes orientales, grises et rocailleuses, parsemées çà et là de quelques tentes indistinctes, rend l’hypothèse de Schweinfurth presque dérisoire en apparence ; mais on ne saurait douter que le Nil, de même que tous les autres fleuves historiques, n’ait commencé par être un cours d’eau redouté, hanté par les fièvres nées des miasmes, des microbes, des