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l’homme et la terre. — égypte

aval du défilé des Chaînes. Là où s’élevait le temple de Teb, devenu l’Apollonopolis Magna, puis l’Edfu des modernes, là, et non plus haut vers la première cataracte, comme on le répète ordinairement, se faisait la brusque transition entre les « Rouges » et les « Noirs », entre l’Egypte et le pays des Nuba ou « Barbardus » (Barabra)[1].

Certainement la nation, composée d’éléments très distincts par la provenance, avait reçu son empreinte particulière du milieu si essentiellement un qui constitue l’Egypte : la nappe d’eau sinueuse et resplendissante réglait de son flot continu la vie du riverain, elle lui donnait sa religion et ses mœurs, en même temps que son pain. Hérodote a dit que l’Egypte était un « présent du Nil », les Egyptiens étaient également son œuvre. Les alluvions se faisaient plantes et les épis de blé se changeaient en hommes.

Le Nil se distingue par des traits tout à fait caractéristiques, en faisant une individualité très distincte parmi tous les grands fleuves de la terre. D’abord il se développe en direction linéaire du sud au nord, comme un méridien visible et, sur ses bords, nombre de tribus, ignorantes du vaste monde, ont pu croire que l’ensemble des terres était divisé exactement en deux parties par le fleuve, le serpent mythique enroulé an tour du globe et se mordant la queue[2]. Autre fait des plus remarquables dans le régime hydrologique du fleuve, sa ramure occupe seulement la moitié supérieure du bassin. A Khartum se réunissent les deux grands courants qui constituent le Nil : le « Fleuve Blanc » épanché par les lacs de l’Afrique centrale et le « Fleuve Bleu » déversé par le lac Tana et les gaves impétueux des monts éthiopiens. C’est là, pendant une partie de l’année, que cessent les apports du flot, et d’ordinaire la portée du Nil s’amoindrit progressivement en aval du confluent jusqu’à la mer, éloignée de 2 700 kilomètres. Peut-être cependant des sources profondes, issues des roches latérales, viennent-elles, dans l’immense parcours fluvial, soutenir l’eau décroissante. Durant la saison des pluies, un affluent considérable gonfle le Nil entre Khartum et Berber : c’est l’Atbâra, l’antique Astaboras, alternativement fleuve sans eau, dans le lit duquel les voyageurs déploient leurs tentes, et courant superbe, mer soudaine-

  1. H. Brugsch, Aus dem Morgenlande, p. 83.
  2. Felkin, Uganda and the Egyptian Sudan, vol. II.