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l’homme et la terre. — égypte

autre emblème du soleil. Aten était le nom de l’Eternel qu’adorait Amenophis, et peut-être est-ce à bon droit que l’on a rapproché de cette appellation celle d’Adonaï donnée par les Sémites juifs à leur « Seigneur »[1].

Les prêtres, comme magiciens, comme maîtres de l’inconnu, de toutes les formes mystérieuses qui s’agitent autour de la pauvre humanité souffrante et angoissée, disposèrent toujours d’un très grand pouvoir, quoique certains faits nous portent à croire que l’impression générale de terreur laissée dans les esprits par les cérémonies magiques et mortuaires ait été exagérée. La vie de tous les jours, celle du travail, de la famille, les mille incidents qui se succèdent détournent les hommes de la hantise du tombeau. Ainsi dans les ruines de la ville de Kahun, qui fut bâtie il y a trente-huit siècles, près de l’entrée du Fayum, on n’a découvert, parmi de nombreux papyrus, aucune pièce qui parlât de mort, de religion ou de cérémonies magiques[2]. D’ailleurs, la puissance redoutable exercée par les jeteurs de sortilèges trouvait heureusement sa limite dans la faillibilité des hommes qui prétendaient commander aux éléments et aux esprits. Leur autorité pouvait devenir précaire, incertaine ou même s’évanouir après chaque méprise, chaque insuccès.

Cependant, dès que l’on vit dans les prêtres non pas les simples détenteurs des sorts et des recettes mais les représentants des dieux, puis les confidents du dieu suprême et les intercesseurs directs auprès du trône, ils acquirent une majesté surhumaine. Agrandie dans le domaine moral, leur puissance tendait logiquement à la conquête de tous les pouvoirs. La propriété ecclésiastique devint formidable et s’étendit sur les meilleures terres ; en Égypte plus qu’ailleurs, le mort saisissait le vif, lui suçait le sang du corps, le laissait débile et exténué. L’ambition suprême des divins interprètes put aussi se satisfaire pendant un certain temps, sinon en Égypte, du moins dans le pays de Méroé, domaine de civilisation égyptienne. La caste sacerdotale avait su s’y imposer à tous et tenait sous sa tutelle le roi ou gouverneur qu’il lui plaisait d’investir des charges de l’administration. L’usage avait même prévalu que, sur l’invitation du Sacré Collège, le prince devait, sans mot dire, résigner

  1. Fr. Lenormant, Les premières Civilisations, l’Antiquité égyptienne à l’Exposition Universelle de 1867.
  2. Griffith, The Petrie Papyri.