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l’homme et la terre. — égypte

des plateaux, constituaient pour les cités d’en bas une menace incessante.

Si les demeures fragiles des foules innombrables qui peuplaient l’Egypte ont disparu, du moins l’école reste, car on peut considérer toute la vallée du Nil comme une immense salle de classe, tant elle était couverte d’inscriptions contenant les enseignements donnés au peuple par les prêtres et les rois, et surtout par l’engeance des flatteurs et des scribes. La manie de l’écriture administrative s’était emparée de la hiérarchie des fonctionnaires : les graveurs d’inscriptions étaient partout à l’œuvre. Tous les monuments de l’Egypte, toutes les statues, corps et même visages y compris, les meubles, les amulettes sont couverts de lettres pressées qui prétendaient éterniser les personnages dont les noms étaient mentionnés, et qui continuent de nous imposer certains détails des plus insignifiants, ainsi que d’interminables redites et formules. La pierre était à cette époque aussi chargée de vétilles que le furent plus tard les parchemins et les papiers. Mais heureusement, les chercheurs n’ont pas été découragés par la banalité de la plupart des inscriptions, par l’insignifiance de presque tous les papyrus, copie de copies et formulaires dont le sens est perdu.

De nombreux lecteurs s’occupent de déchiffrer ces documents et parfois, comme une pépite d’or en une charretée de boue, on découvre des faits d’histoire, des noms de lieux et de peuples, des dates importantes, des recettes de chimie ou de thérapeutique, des paroles de haute morale, des pensées profondes et de nobles sentiments. Car, on ne doit point s’imaginer, comme on se laisse aller volontiers à le faire, que nos aïeux, si éloignés dans le temps, n’aient pas éprouvé toutes nos passions, réfléchi sur les mêmes problèmes et n’aient pas su exposer leur âme avec la même puissance d’expression que nos contemporains. Quelques-uns de ceux-ci croient avoir tout inventé, y compris l’amour, et certains ouvrages d’ethnologie affirment sérieusement de telle ou telle peuplade que le mystère de la tendresse passionnée y reste absolument inconnu. Quoi qu’il en soit, nous savons que les Egyptiens, dès le commencement de leur histoire écrite, avaient trouvé le langage du cœur ; or, ces paroles, si menteuses qu’elles puissent