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l’homme et la terre. — grèce

de certitude que présentaient les prétendues généalogies nobiliaires.

Le fond primitif, auquel vinrent s’unir les divers éléments qui donnèrent naissance aux Grecs de l’histoire, fut la nation dite des Pélasges, que la légende et les traditions nous montrent établie surtout en Epire, en Thessalie, en Arcadie, dans les vallées des monts, en certaines îles de l’Archipel : ils se disaient eux-mêmes fils du Lycée, le « mont des Loups », qui se dresse au centre du Péloponèse ; ils se nommaient les « Hommes de la Terre Noire » et les « Enfants des Chênes ». Rudes et fiers, ils étaient beaucoup plus agriculteurs résidants et constructeurs de cités que marins et trafiquants ; cependant ils commerçaient aussi par mer avec leurs voisins des îles et de l’Asie Mineure. Ce sont les Pélasges que la fable symbolisa sous le nom d’Hercule, car c’est à eux que la Grèce dut les grands travaux d’appropriation du sol, le dessèchement des marais pestilentiels, le refoulement des bêtes féroces, la régularisation des cours d’eau, le déboisement des plaines fertiles, la construction des murailles de défense et des acropoles. La postérité les divinisa presque comme des géants, des êtres surhumains, de prodigieux bâtisseurs que leurs descendants, plus débiles, n’eussent pu imiter ; on s’imagina qu’une force supérieure les avait animés quand ils construisirent ces murs qui se dressent encore, çà et là, en mainte partie de la Grèce. Nombre de familles anciennes, principalement dans l’Attique, se vantaient de descendre de ces « autochtones », et cette prétention dut être justifiée en bien des cas, grâce aux mœurs conservatrices des populations agricoles. De même, la langue et la religion se continuèrent à travers les âges, ainsi qu’en témoignent les anciens noms de lieux et de divinités. Les Pélasges avaient déjà leur Zeus, qu’ils adoraient en regardant le ciel bleu, et le dévot Pausanias nous parle des pierres brutes qu’avaient autrefois vénérées les Pélasges et devant lesquelles se prosternaient encore les Grecs, sous la domination romaine.

C’est parmi les Pélasges qu’il faut probablement chercher, nous dit Aristote, les tribus qui donnèrent leur nom de « Grecs » à l’illustre nation qui se forma dans les péninsules et les îles de l’Europe sudorientale. Les Graïkoï ou Graïques, — c’est-à-dire les « Montagnards » ou les « Vieux », les « Antiques », d’après des étymologies diverses, — étaient les rudes habitants des hautes vallées forestières de l’Epire, et près d’eux résidaient les Selles ou Helles, ancêtres des Hellènes,