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l’homme et la terre. — grèce

n’était pas un mythe commercial ; suivant les milieux et les âges, tout se transforme et prend un sens nouveau. Il est certain que la plus ancienne forme du récit n’avait aucun rapport avec les mines d’or de la Colchilde : des vers de Mimnerme, qui paraissent dater d’environ vingt-cinq siècles et qui se trouvent intercalés dans la Géographie de Strabon, nous parlent des « rayons du Soleil à la course rapide » qui « reposent étendus sur un lit d’or »[1]. Evidemment, le mythe est purement solaire, et ce lit de rayons d’or, que l’on pourrait d’ailleurs chercher aussi bien à l’Occident qu’à l’Orient, n’est autre que le carquois de flèches déposé par le dieu quand il a fini de parcourir le ciel. Au crépuscule, il les place sur des amas de nuages empourprés ; à l’aurore, il les retrouve sur des écharpes de nuelles roses et reprend sa marche triomphante. Mais où se trouvent elles, ces armes solaires ? Au loin, toujours plus loin, par delà l’horizon des soirs, par delà l’horizon des matins, et il fallut que naquissent des âges utilitaires pour que les esprits étroits, comme celui de Strabon, vissent des lingots d’or en ces rayons du Soleil et une toison de brebis constellée de pépites dans le trésor conquis par Jason[2].

Au point de vue des connaissances géographiques de l’époque, il est également très fructueux d’étudier les versions données sur le voyage de retour des Argonautes d’après les différents auteurs, lyriques, dramaturges ou autres. Tous ces chantres ou historiens d’une longue période épique s’efforcent d’embrasser dans leurs récits l’ensemble des contrées de la terre qui leur étaient connues. Hésiode nous dit que l’Argo remonta le Phase, puis, arrivé dans le grand fleuve océan, se fit porter par lui autour du monde jusqu’au sud de la Libye, d’où il fut convoyé à travers le désert jusqu’à l’un des golfes de la Méditerranée. Un autre itinéraire part de la bouche du Tanaïs pour entrer par un circuit analogue à travers les portes d’Hercule. Mais le tracé qui finit par prévaloir est celui que propose Apollonius de Rhodes : il fait pénétrer l’Argo dans l’Ister ou Danube, d’où, par une série de diramations fluviales, il gagne l’Eridân ou Padus (Pô), puis le Rhodanus (Rhône); il le mène dans le pays des Ligures et des Celtes, lui fait parcourir la mer Adriatique et la mer Tyrrhénienne, visiter l’île d’Elbe, échapper, près du golfe de Naples ou ailleurs, au redoutable

  1. Strabon, livre I, chap. II, 40, Éd. Am. Tardieu.
  2. E.-H. Bunbury, History of ancien Geography, vol. I, p. 20.