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l’homme et la terre. — grèce

tiques. Mais combien ces vaillants hommes furent-ils en cette circonstance aidés par la nature !

Les presqu’îles frangées de l’Asie Mineure, les vallées fertiles qui découpent le littoral, les îles qui forment comme un deuxième rivage au-devant du premier et lui donnent une succession de rades et de ports naturels, tout cet ensemble qui diffère tellement par son aspect et sa nature du haut plateau anatolien, âpre, monotone, aride et se développant en bassins fermés autour de baies salines, constitue en réalité un monde tout à fait à part : c’est, en géographie comme il le fut en histoire, une véritable Grèce asiatique[1] ; mais cette autre Hellade se distinguait de la première par des proportions plus grandes. Les terres de l’Asie grecque ont de larges campagnes d’une tout autre ampleur et d’une plus grande richesse en alluvions généreuses que les petits bassins étroits du Péloponèse et de la Béotie. Des fleuves abondants les parcourent, fournissant en suffisance l’eau nécessaire à l’irrigation, ouvrant des chemins de communication faciles avec les plateaux de l’intérieur et les populations lointaines du Taurus[2].

De toutes les villes de cette Hellade d’Asie, Milet fut celle qui développa le plus d’initiative et d’intelligence pour l’extension de son commerce et de sa gloire. D’ailleurs, elle disposait d’avantages naturels de premier ordre : située vers le milieu des parages de navigation qui s’étendent de l’entrée de l’Hellespont à l’île de Crète, elle occupait l’issue de la vallée la plus large, la plus fertile et la plus longue de toute l’Asie Mineure occidentale, elle se trouvait donc au lieu le plus favorable pour l’échange entre les terres de la mer Egée et les contrées de l’intérieur, Phrygie et Cappadoce. Aussi les marins de toute race qui s’étaient succédé comme « thalassocrates » dans la Méditerranée orientale, les Phéniciens, les Cretois, les Cariens, puis les Ioniens, avaient les uns après les autres occupé le port de Milet, lui donnant, par le mélange de leurs civilisations diverses, un caractère essentiellement cosmopolite et une remarquable intelligence commerciale. Et les Milésiens, prudents acquéreurs de richesses, s’étaient bien gardés de se lancer dans une politique de conquêtes, qui peut-être n’eût pas été difficile : évitant les routes du plateau qui s’ouvrait à eux par la vallée du Méandre, ils se bornaient de ce côté au rôle d’inter-

  1. Ernst Curtius, Die Ionier vor der griechischen Wanderung, p. 9.
  2. G. Perrot et Ch. Chipiez, Histoire de l’Art dans l’antiquité, t. VII, pp. 304, 305.