Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
302
l’homme et la terre. — grèce

faire des beaux vases, des figures sculptées, des bijoux patiemment gravés. Il y a régression incontestable dans le travail et la richesse, dans l’art et l’industrie, après la période que l’on peut désigner comme « achéenne » ou « mycénienne », et un siècle ou deux durent s’écouler avant que le progrès eût repris son cours normal[1].

D’ailleurs, une grande partie du monde grec était encore dans la phase purement agricole de son développement, et, chose curieuse, ceux qui s’occupaient d’un autre labeur que celui de la culture, pour lequel la force et la santé sont indispensables, étaient régulièrement choisis parmi les infirmes : l’agriculteur hellène, de même qu’en nombre de districts le paysan français décidant que tel fils malvenu sera prêtre ou maître d’école, avait grand souci de remettre sa terre à des héritiers vigoureux et de solide membrure ; les boiteux se faisaient d’ordinaire forgerons, et c’est pour cela que ceux-ci attribuèrent la même infirmité à Hephaïstos, leur divin patron ; les aveugles, comme le plus illustre d’entre eux, Homère le rhapsode, se faisaient chanteurs, danseurs, improvisateurs et récitateurs de vers. Incapables de tirer leur propre nourriture du sol et de vivre d’une manière indépendante, les artisans et les chanteurs étaient obligés de travailler pour la communauté : ils devenaient « démiurges », c’est-à-dire les « travailleurs du peuple », et n’étaient pas absolument considérés comme des hommes libres[2].

Aux temps d’Homère, les Grecs sont loin d’être les premiers dans les arts, et ils ne font aucune difficulté pour le reconnaître : ce sont des produits d’origine étrangère qu’ils célèbrent comme étant les plus beaux : épées de la Thrace, ivoires de la Libye, bronzes de Cypre et de la Phénicie. On a trouvé des bijoux dans les tombes athéniennes de cette époque, mais pour la qualité du métal, aussi bien que pour l’originalité de la décoration, ils sont très inférieurs à ceux que l’on a retirés des tombes mycéniennes. Les métaux précieux étaient devenus moins abondants et d’un emploi plus rare. En outre, le style a changé : l’artiste ne prend plus ses modèles dans les mille formes de la vie, plantes et animaux ; à l’exception de l’oiseau des marais, et plus tard du cheval et de l’homme, il ne représente plus de formes animées. Il n’avive plus les courbes, et ses motifs sont empruntés

  1. G. Perrot et Ch. Chipiez, Histoire de l’Art dans l’Antiquité; tome VII, p. 277 et suiv.
  2. Ed. Meyer, Die wirtschaftliche Entwickelung des Altertums, p. 16, 17.