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l’homme et la terre. — grèce

les « lois » et ne fut en réalité que la vie sociale et politique des peuples de la Grèce. La nature seule, le simple milieu du sol et du climat n’expliquent point cette opposition, il faut tenir compte aussi du milieu moral que créait aux Spartiates leur caractère d’étrangers s’installant de force en un pays nouveau pour eux, où ils se trouvaient toujours en danger. En effet, l’ambiance de la contrée dans laquelle se déroulait leur existence n’a rien de tragique en elle-même. La plaine est fertile, une des étymologies proposées pour le nom de Sparte a le sens de « sol fécond ». L’Iri, l’ancien Eurotas, se déroule dans une large campagne qui fut jadis un lac et qui laissa d’épaisses couches d’alluvions, puis, au delà d’âpres défilés, se déverse dans le golfe de Laconie à côté d’un « fleuve royal » (Vasili Potamo) qui vient de s’élancer en source du fond de galeries calcaires. Un bel amphithéâtre de montagnes, que commande à l’ouest le superbe Taygète ou Pentedactylon (aux cinq doigts), entoure la plaine de Sparte et lui fait un cercle d’escarpements blanchâtres alternant avec des fonds d’ombre et de verdure.

Les résidants originaires de cette belle contrée, les Laconiens, se disaient fils des Pélasges autochtones, « nés du sol », et vivaient en paix avec les habitants des vallées et des hautes combes voisines ; la conquête dorienne en fit des asservis : ce sont eux qui, sous le nom de Periœques ou « Gens des Alentours », « Bordiers », « Clients », continuèrent de se livrer aux travaux de la campagne et aux industries héréditaires. Ces occupations diverses les avaient enrichis aux temps anciens, alors que des colonies phéniciennes peuplaient Cythère et les comptoirs d’échange et de pêcheries de coquillages à pourpre sur le pourtour du golfe. Pendant toute la période de l’histoire grecque proprement dite, au contraire, les Laconiens, soumis à une domination très dure et menant une existence précaire, ne travaillèrent que pour le profit de leurs âpres patrons, les Spartiates. C’est à eux pourtant que les peuples de la Grèce venaient acheter des meubles, des instruments en bois et en fer, des vêtements, des chaussures. Constituant surtout un prolétariat ouvrier, ils enrichirent leurs maîtres qui, sans eux, n’eussent jamais pu maintenir leur pouvoir. Sans les laborieux Lacédémoniens, la domination des Spartiates eût été impossible ; mais l’histoire oublia ces humbles pour concentrer toute son attention sur les hommes de guerre campés à Sparte. Elle négligea surtout les Hilotes,