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l’homme et la terre. — grèce

critiques pendant lesquelles on put l’assimiler à la cruelle Sparte. Elle eut ses familles nobles qui tentèrent de monopoliser à leur profit toutes les forces de la nation ; elle eut ses guerres féroces, qui pèsent lourdement sur sa mémoire ; elle eut également de cruels législateurs, représentants de despotes, que le danger d’être renversés rendait impitoyables. C’est ainsi que dans le lointain de l’histoire à demi légendaire, il y a plus de vingt-cinq siècles, apparaît l’archonte Dracon, dont le nom symbolise encore de nos jours les lois féroces promulguées par les pouvoirs apeurés. Ce chef du parti des « meilleurs » n’édictait qu’une seule peine pour tous crimes et délits, la mort : c’est que, dans un état d’équilibre instable, le moindre accident peut entraîner des conséquences décisives[1].

Mais cette législation « draconienne » ne pouvait durer dans le conflit des éléments en lutte, et celle qui lui succéda, beaucoup plus humaine, dut tenir compte des conditions du milieu et tenter d’établir des rapports équitables entre les classes : c’est à elle que se rattache le nom de Solon, personnage que l’on croit avoir réellement vécu, mais qu’il faut considérer surtout comme l’interprète du peuple athénien et de la civilisation hellénique dans son ensemble. La première réforme, d’intérêt capital, fut de soustraire le pauvre à l’esclavage dont il était menacé par le riche. Le prêt cessa d’être hypothéqué sur la liberté de l’emprunteur, et celui-ci ne courut plus le risque, d’être éloigné de sa famille, vendu sur les marchés étrangers, condamné à vivre parmi des barbares peut-être et à ne plus entendre le parler maternel. Le citoyen d’Athènes, si pauvre qu’il fût, acquit des droits inaliénables ; même l’eupatride, le descendant des dieux, eut à respecter le prolétaire, à lui demander en votation publique la confirmation de ses fonctions et prérogatives. Il est vrai que l’existence même de classes inégales dans la république devait causer des luttes intestines ; aussi était-il nécessaire de trouver un dérivatif a la vindicte populaire, et c’est dans l’activité commerciale qu’on le chercha. La postérité, qui met volontiers sous un seul nom propre de longues évolutions auxquelles participe tout un peuple, attribue à Solon l’ouverture de ces chemins de la mer convergeant vers Athènes et la prise de possession de Salamine, l’île qui commande le port du Pirée. Un trait de la

  1. L. von Ranke, Weltgeschichte, I, I, p. 185.