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l’homme et la terre. — grèce

du pourtour de la Méditerranée eurent pour conséquence une énorme extension de la véritable Grèce et de ses idées. Le foyer de vie se déplaça, mais la vie continua de brûler avec la même ardeur. De même qu’Athènes avait reçu le feu sacré porté par les Milésiens et tant d’autres fugitifs de l’Asie Mineure, de même Pergame, Alexandrie, Cyrène, Syracuse, Marseille devinrent autant d’Athènes continuant l’oeuvre de leur devancière et la continuant surtout par l’activité de la pensée et l’amour désintéressé de la science. Ne vit-on pas le Massiliote Pythéas explorer les passages du Grand Nord Atlantique, uniquement pour la joie de savoir ? Les édifices construits, notamment le Parthénon, montraient d’une façon définitive, éblouissante, comment les artistes grecs avaient compris la réalisation de leur idéal en architecture, mais dans la philosophie, dans la morale, dans la conception de la vie personnelle et collective, ils n’achevèrent leur œuvre que longtemps après : c’est en exil, peut-on dire, que la Grèce rédigea le testament des siècles vécus par elle et sa méthode d’enseignement pour les peuples à venir.

La cause première de cet admirable développement de la pensée qui caractérise la Grèce doit être cherchée dans la faible influence de l’élément religieux. Les prêtres ne gouvernèrent point les Hellènes. Certainement, le sacerdoce tenta de se constituer dans les républiques éoliennes, ioniennes et doriennes, comme il l’avait fait aussi dans tous les autres pays du monde, mais il ne réussit que faiblement en son entreprise. Les mythes apportés de l’Egypte, de la Phénicie, de la Perse ne furent pas accompagnés de leurs redoutables interprètes, les magiciens dispensateurs du salut. Dans chaque vallon de montagne, en chaque famille de clan primitif, le Grec était son propre prêtre, et, quand la tribu prit une plus grande extension, les représentants politiques des citoyens présidaient un culte général. La mythologie grecque, si riche et si variée, se renouvelait incessamment au gré de l’imagination populaire qui, de vallée en vallée, de péninsule en péninsule, aussi bien que de siècle en siècle, modifiait rapidement ses dieux. Le sens primitif des fables inventées par le symbolisme — première tentative de résumé synthétique — était encore resté clair à la plupart dès fidèles : ils savaient parfaitement que Zeus était le « Grand Jour », et, en même temps, le souverain de l’Olympe : Poséidon était le dieu de la mer, mais surtout la mer elle-même ; Hephaïstos forgeait les