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religion grecque

armes des dieux au foyer souterrain des laves, mais il se montrait en personne sous l’apparence des flammes. Ainsi de toutes les divinités : Demeter, la « Bonne mère », qui protégeait les moissons, était la moisson même que fait onduler le vent. Cette transparence des mythes permettait aux Grecs de se passer d’intermédiaire pour les comprendre, et, d’ailleurs, la cité restait trop petite, trop agitée aussi pour qu’il pût s’y former un sacerdoce aux dehors immuables.

Certainement, la beauté du ciel clair, la pureté de profil qu’offraient les rochers et les collines de l’horizon, la lumière éparse sur la mer avaient contribué à donner du charme et de la gaieté à l’ensemble de la mythologie grecque. L’effroi de la mort, la peur de l’inconnu qui se devine au delà du tombeau, régnait moins sur les Hellènes que sur les populations des contrées où la nature est plus sombre, où ses phénomènes sont plus redoutables. Ce fut l’une des raisons pour lesquelles ils évitèrent l’intervention constante du magicien qui conjure le sort par des gestes, des contorsions et des cris ; ils se tenaient à l’écart de leurs parents et alliés de l’Asie Mineure, qui, dans le Pont, la Cappadoce, la Cilicie, aimaient à se jeter en des transes extatiques, comme le font encore de nos jours le chamane touranien, l’exorciste catholique et le piagé des Mundurucù.

Pendant la belle période de la Grèce, le redoutable destin, qui planait au dessus des dieux eux-mêmes et dont les grands tragiques nous décrivent la domination terrible, parait avoir été, pour le peuple d’Athènes, un sujet d’instruction dramatique beaucoup plus qu’une cause réelle d’épouvantement. Les oracles de Delphes, ceux des autres dieux que l’on venait consulter de tous pays grecs et grécisés, ont un caractère spécial : tandis que les divinités des autres nations menacent, commandent, terrorisent, Delphes semble s’ingénier à exercer la sagacité des Grecs : elle leur donne des énigmes à résoudre, des jeux d’esprit à deviner. Le Sinaï fulminait ses lois au peuple prosterné dans la poussière du désert, Delphes conversait, pour ainsi dire, avec des hommes de goût, et fréquemment les citoyens d’une ville discutèrent ses oracles. Même les Cuméens, dans l’Asie Mineure, désobéirent de propos délibéré à un ordre des Branchides[1] leur enjoignant de livrer leur hôte au roi de Perse. Ils préférèrent leur propre conception du bien.

  1. Hérodote, Histoires, I. p. 158 et suiv.