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l’homme et la terre. — îles et rivages helléniques

géométrique, du moins au vrai milieu géographique de la Méditerranée. Et les avantages que possédait Carthage pour le trafic des marchandises, elle les possédait aussi pour la surveillance jalouse des mers et pour la domination des rivages peu éloignés dans les îles et sur la terre ferme. C’est par un phénomène de gravitation naturelle que la plupart des ports de la Maurétanie et de l’Hispanie orientale, que les Baléares et les cotes des grandes îles, Corse, Sardaigne, Sicile, tombèrent aux mains des marchands ou des corsaires carthaginois.

Aventurés si loin du lieu d’origine, au milieu de populations toutes différentes par le langage, les mœurs, la conception de la vie, les colons phéniciens établis à Byrsa ne pouvaient réussir qu’à la condition de former un corps politique très compact et solidaire, capable de résister aux attaques du dehors par l’union parfaite de tous ses éléments intérieurs, et assez habile pour se rendre indispensable comme intermédiaire de commerce. Son isolement au milieu des mers du lointain Occident lui permit de se constituer un monopole de trafic absolu, de réaliser à son profit, pour un ensemble de contrées fort étendu, ce privilège exclusif des échanges qui est l’ambition par excellence de chaque nation commerçante, de chaque ville, de chaque entreprise individuelle même et qui, dans notre monde moderne, a donné naissance à l’industrie des brevets et aux syndicats d’exploitation. Certes, les villes grecques, Athènes, Corinthe, Egine, Syracuse nourrissaient la même ambition, mais elles avaient trop à souffrir de la concurrence des cités voisines, et Carthage les dépassa certainement comme centre d’attraction tout-puissant pour les affaires.

Grâce à sa position géographique beaucoup plus avancée dans la direction de l’ouest, Carthage se substitua à la mer patrie de la côte phénicienne, comme centre de commerce pour la Méditerranée occidentale et pour la porte de l’Océan. Elle reprit la plupart des colonies syriennes et en fonda de nouvelles, entre autres la « Nouvelle Carthage » ou Carthagène, qui, depuis cette époque, ne cessa d’être une importante cité. Enfin, elle se livra également aux entreprises de découvertes pour agrandir son domaine de trafic et, peut-être aussi, pour satisfaire la curiosité de ses naturalistes et savants. C’est ainsi qu’il y a plus de vingt-trois siècles et demi, la cité commerçante fit partir pour la côte occidentale d’Afrique toute une flotte de soixante navires à cinquante rameurs, emportant, dit-on, trente mille traitants et colons. Cette