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l’homme et la terre. — îles et rivages helléniques

revendication nationale éclatât contre les Grecs dans l’intérieur de la Sicile. À cette époque, un certain Duketios, profitant des dissensions que la diversité des intérêts avait suscitées entre les républiques grecques, ioniennes et doriennes, essaya de fonder un royaume sicule : la capitale du nouvel État se plaça sous la protection des dieux nationaux, dans le bassin d’un cratère effondré qui s’ouvre non loin du lac de Pergusa, vers le milieu des plaines orientales. Mais Duketios avait tenté œuvre trop haute, il succomba, et, depuis cette époque, les Sicules, graduellement assimilés par les maîtres hellènes, finirent par se croire eux-mêmes d’origine hellénique. Tous les monuments du pays sicule, qui datent des derniers siècles de la domination grecque, n’ont rien qui les distingue de ceux du littoral de Syracuse et d’Agrigente. Les Sicules ont des monnaies grecques et parlent la langue de leurs maîtres. D’autre part, ceux-ci acceptent les légendes locales, incorporent dans la leur propre les langues indigènes, transportent Demeter à la place de quelque divinité locale dans la plaine d’Enna et montrent l’endroit où Proserpine disparut sous terre, ravie par le sombre Pluton.

Ainsi mêlés avec des peuples qui, relativement à eux, pouvaient être considérés comme des aborigènes, les Grecs disposaient évidemment d’une très grande force de résistance contre, les marchands carthaginois, accompagnés de leurs mercenaires et de leurs esclaves. Unis entre eux, ils auraient facilement repoussé toute attaque, mais il arriva souvent que des tyrans de villes grecques firent appel aux Puniens pour les aider contre une république voisine ou contre leurs propres sujets. Dans ces conditions, Carthage ne pouvait guère accomplir en Sicile qu’une œuvre de destruction. Ainsi que le dit l’archéologue Dennis, les Grecs ont laissé les admirables ruines de Segeste (Egesta), de Syracuse et d’Agrigente, tandis que les témoignages les plus éloquents de la domination carthaginoise sont les sites désolés où s’élevaient Himera et Selinus. Cependant les générations de races et de langues diverses ne peuvent rester en contact pendant des siècles sans que des mélanges se produisent et que les civilisations respectives se rapprochent par des coutumes et des idées communes. Surtout à l’ouest de la Sicile, où la domination carthaginoise fut plus solidement établie qu’ailleurs, les types présentent des traits évidemment puniques, et mainte légende, mainte superstition ra-