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littoral phénicien, arvad

que les nombreuses troupes des conquérants venus de l’intérieur étaient impuissantes à combattre ; des fontaines d’eau douce, jaillissant dans le port même, au milieu du flot salé, permettaient aux marins, en cas de siège, de se passer des aiguades du littoral.

Mais les faubourgs de trafic et d’entrepôt, les fermes, les maisons de campagne avaient dû, par suite du manque de place, s’établir de l’autre côté du détroit, le long de la rive continentale, donnant ainsi naissance à des villes filiales qui, dans les périodes de richesse et de peuplement, dépassaient en importance le roc exigu de la cité mère et tendaient naturellement à vivre d’une vie indépendante, tandis que, dans les époques troublées, elles avaient à redouter tous les hasards des guerres, des sièges et des assauts.

Cette partie de la côte était précisément une de celles qui se trouvaient le plus exposées aux violences de l’invasion conquérante, car les montagnes y sont interrompues à l’est par une très large brèche où passent les routes qui se dirigent vers la moyenne vallée de l’Oronte, dans laquelle se succédèrent les capitales d’empire. C’est là que les Hittites possédaient, il y a 3 500 ans, la puissante cité de Hamath, et là qu’ils se heurtèrent contre les armées égyptiennes dans les plaines de Kadech. L’escale maritime qui faisait face à ces villes devait subir le contre-coup de ces conflits, et maintes fois les dévastateurs en démolirent les édifices. Il resta pourtant de très précieux débris, notamment un temple où un bassin taillé dans le roc portait le bateau sacré, « l’arche » de salut, symbole par excellence de la richesse des Phéniciens[1].

Plus au sud, et mieux située encore qu’Arvad pour la facilité des communications entre les riches campagnes de l’Oronte et le littoral méditerranéen, une étroite saillie de la côte, prolongée au loin vers le nord-ouest par un môle d’îlots et d’écueils, avait également reçu sur sa terrasse verdoyante une ville d’entrepôt et de commerce dont l’histoire nous montre sous un aspect très favorable le haut degré de prudence politique qu’avaient atteint les communautés phéniciennes. Les trois cités commerçantes d’Arvad, de Sidon et de Tyr s’étaient mises d’accord pour fonder et pour gérer à frais commun le comptoir qui fut désigné, en vertu de son origine, sous le nom de « Triple ville »,

  1. Ernest Renan, Mission de Phénicie.