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l’homme et la terre. — rome

niques étaient devenues inévitables. Les deux puissances visaient également à l’expansion indéfinie, et les points de contact entre leurs territoires devenaient de plus en plus nombreux, les chocs préliminaires plus fréquents. Elles se connaissaient de longue date ; au lendemain de l’expulsion des Tarquins, un traité avait réglé leur droit respectif au commerce maritime, Carthage s’interdisait alors toute incursion sur le littoral du Latium, entre l’Etrurie et le Cap Circé ; cent soixante ans plus tard, le pacte fut renouvelé sans grande modification ; à la veille même d’en venir aux mains, un nouvel échange de signatures unissait Rome et Carthage contre Pyrrhus. Enfin, près de 500 ans après l’époque fixée par la légende pour la fondation de Rome, la rupture eut lieu, et quoique, d’après le dire d’un général carthaginois, il ne dût pas même être permis aux Romains de se tremper les doigts dans l’eau salée, une des premières rencontres fut une bataille navale, près de l’angle nord-oriental de la Sicile. Ainsi qu’il arrive fréquemment dans les duels entre les patriciens consommés mais routiniers et de jeunes inexpérimentés se laissant entraîner par leur franche initiative, ce furent les moins habitués au roulis des flots qui l’emportèrent ; mais il faut dire aussi — les patriotes romains le tinrent dans l’ombre — que des ingénieurs et des marins grecs de la Sicile, rivaux des Carthaginois depuis des siècles, entrèrent à la solde des Romains et dirigèrent la construction, l’armement et la conduite de leur flotte[1].

C’est aux Grecs sans doute qu’il faut attribuer les nouveaux, moyens d’attaque dont furent pourvus les vaisseaux latins : c’étaient des espèces de becs ou « rostres » qui harponnaient et retenaient les navires carthaginois pendant l’abordage. Ces nouveaux appareils assurèrent la victoire à la flotte de Duilius, et telle fut la joie de Rome d’avoir appris à vaincre sur mer comme elle avait l’habitude de triompher sur terre, que l’ivresse de gloire fit naître une forme architecturale nouvelle. Maintenant encore, après plus de vingt et un siècles, les bâtisseurs classiques se croient obligés de dresser des colonnes rostrales.

A la suite de leurs victoires maritimes, les Romains, commençant l’ère mondiale de leur grande destinée, se crurent assez forts pour débarquer sur la terre d’Afrique. Livrés à eux-mêmes, les Carthaginois auraient été peut être impuissants à repousser l’attaque, mais à la tête

  1. Leopold v. Kanke, Weltgeschichte, II, 1, pp. 179 et 180.