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l’homme et la terre. — rome

de la mer Tyrrhénienne. Elles allongèrent les bras, si l’on, peut dire ainsi, en poussant leur domination plus avant sur le littoral méditerranéen le plus rapproché d’elles : c’était une façon indirecte mais aussi efficace de se combattre. Les Carthaginois s’emparèrent des côtes de Maurétanie jusqu’à l’Océan ; Hamilcar Barca soumit successivement tous les peuples de l’Espagne jusqu’à l’Ebre, et, maître des riches mines d’argent de Carthagène, une « Nouvelle Carthage », il alimenta de loin le trésor de la mère patrie. Quant à Rome, elle poursuivit l’extension de son territoire en complétant sa domination dans l’Italie du Nord, puis par delà les Alpes dans la direction du Rhône et des Pyrénées. En outre, les traités lui avaient donné en Espagne même une précieuse alliée, la forte Sagonte, barrant au sud de l’Ebre la route du littoral.

Fils d’Hamilcar Barca, Hannibal, devenu chef de l’armée carthaginoise dans la péninsule Hispanique, ne voulut pas se résigner à laisser cette épine dans sa chair. Il prit Sagonte, au double risque d’un désaveu de ses concitoyens puniques et d’une déclaration de guerre de la part des Romains, puis, quand le conflit eut réellement éclaté, il n’attendit point l’ennemi. Et cependant il n’avait pas de flotte : il résolut de s’élancer à travers les régions encore inexplorées du Nord, de franchir les Pyrénées et les Alpes, et d’aller, dans les plaines du Pô, donner la main aux Gaulois frémissants qui se rappelaient avec amertume les dernières batailles de leur guerre d’indépendance. Avec une audace et une prescience qui firent l’étonnement des peuples et qui font encore de sa merveilleuse campagne un événement presqu’incomparable dans l’histoire des guerres, Hannibal accomplit sa marche presque en secret : il traversa la Catalogne et la Gaule narbonnaise sans opposition sérieuse, mais éprouva quelques difficultés au passage du Rhône. Les Romains pourtant, campés dans la Provence, ne purent faire la moindre tentative pour l’arrêter sur sa route ni pour l’attaquer de flanc dans ses détours vers le Nord et les hautes vallées des monts.

C’est d’une manière très vague que l’histoire écrite nous dit comment Hannibal franchit les Alpes. Nous possédons, il est vrai, le récit d’un auteur[1] qui visita consciencieusement les passages de ces

  1. Polybe, III, 49-6 à 56-4.