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l’homme et la terre. — rome

seulement s’était écoulé depuis les événements qu’il racontait, et l’historien put certainement rencontrer beaucoup de vieillards qui le renseignèrent sur les détails topographiques précis du chemin parcouru. Toutefois, Polybe, qui ne s’intéressait point à la géographie des Alpes, et que le manque de grandes villes, de lieux d’approvisionnement, de champs de bataille autorisait à ne pas localiser les étapes de la région, se borne à parler de la traversée des montagnes d’une manière tout à fait générale, et peut-être même le fait-il avec la préoccupation d’amoindrir le mérite du général carthaginois au point de vue stratégique : très ami des Fabius et des Scipion, il ne voulut pas les désobliger en s’occupant trop longuement de leur illustre rival. La défaite finale d’Hannibal autorisait même le narrateur à manier l’ironie en parlant des hauts faits du Carthaginois.

L’obscurité du texte de Polybe, que ne dissipent point les récits de Tite-Live, postérieurs d’une centaine d’années, et qu’épaississent les mémoires des mille commentateurs, est restée si grande que, pour désigner le seuil des Alpes choisi par Hannibal, on a pu hésiter entre les divers cols qui se succèdent du sud au nord, puis à l’est, du col de l’Argentière au Saint-Gothard, sur un développement total de 400 kilomètres environ : toutes les sentes fréquentées par les montagnards ont été énumérées comme frayées ou élargies par le fameux Carthaginois ; mais, bien que la route qui remonte le long de l’Isère ait de nombreux partisans, la plupart des historiens modernes considèrent le passage du mont Genèvre, entre Briançon, sur la Durance, et Susa, sur la Doria Riparia, comme le lieu d’escalade choisi par Hannibal sur le conseil de ses guides allobroges[1]. C’est là sans doute qu’il devait rencontrer le moins de difficultés : elles furent grandes pourtant, puisque, dans la durée du temps employé à franchir les Alpes, il perdit la moitié de son armée. Quelques éléphants, des hommes au teint bronzé, des nègres même, descendus dans la plaine du Pô comme du haut des nuages, donnaient un bizarre aspect à cette troupe d’étrangers, à la rencontre desquels se hâtaient les Romains. Trop tard néanmoins, car les Carthaginois, unis aux Gaulois insurgés, rejetèrent successivement de l’autre côté du Pô et des Apennins les deux armées consulaires

  1. Ernest Desjardins, Géographie de la Gaule romaine, II et III, 259, 268.