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l’homme et la terre. — rome

avoir surmontés. En fait, la vraie limite des pays n’est pas la ligne idéale qui rejoint cime à cime, mais c’est la base des escarpements, là où se produit le contraste entre les pratiques de la culture, entre les industries locales, les mœurs, le rythme de l’existence. De tout temps les populations des Alpes, comme celles des autres régions de montagnes avant les conquêtes et les annexions systématiques et militaires des âges modernes, présentaient le même type et appartenaient presque toujours à la même race, à la même langue, sur les deux versants opposés. Guidés par des montagnards amis, les marchands, les voyageurs trouvaient donc un chemin facile de la Gaule cisalpine à la Gaule transalpine, de l’Italie en France ; mais ceux qui se seraient présentés en ennemis s’exposaient à rencontrer des gens embusqués derrière chaque rocher : le grand art des conquérants était de se créer des alliances et de s’assurer des guides fidèles. Les voies les plus fréquentées étaient désignées par la nature : on pourrait les énumérer d’après l’examen des cartes, n’eût-on pas à cet égard le témoignage des anciens auteurs. Le premier de ces passages alpins, au sud de la chaîne, est le col de Tende, qui réunit les vallées de la Stura et de la Roya ; puis se succèdent, du sud au nord, le col de Larche ou de l’Argentière, entre Cuneo et Barcelonnette, la « traversette » du Viso, entre Saluzzo et Embrun, le « mont » Genèvre, qui joint Turin et Pinerolo à Briançon, la coulière du Pô à celle de la Durance. Actuellement, le « mont » — c’est-à-dire le passage — dit Mont Cenis est devenu la grande route entre Turin et la haute vallée de l’Isère, mais les Romains ne le pratiquèrent point, et il ne commence à poindre dans l’histoire qu’après la chute de l’Empire et l’invasion des Barbares.

À l’angle du système alpin, là où les massifs helvétiques succèdent suivant un autre alignement aux montagnes des Allobroges, les deux passages du Petit-saint-Bernard et du Grand-saint-Bernard unissent la plaine du Pô aux campagnes du Rhône et du Léman. Des temples, d’autant plus vénérés que les passants avaient eu plus de dangers à courir en escaladant la montagne d’où s’écroulent les neiges, où soufflent les tourmentes, y étaient dédiés aux dieux protecteurs. Le Grand-saint-Bernard était spécialement voué à Jupiter et fut connu sous le nom de mont Joux.

Au nord de l’Italie, le col de Monte-Morro, qui contourne à l’est le